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« Kaw-djer, dit Harry Rhodes, non sans une sorte de solennité, depuis longtemps je vous conjure de venir au secours de la malheureuse population de l’île Hoste, en acceptant de vous placer à sa tête. Une dernière fois, je renouvelle ma prière.

Le Kaw-djer, sans répondre, ferma les yeux, comme pour mieux voir en lui-même. Harry Rhodes poursuivit :

— Les derniers événements ont dû vous faire réfléchir. Nous, en tous cas, nous sommes fixés. C’est pourquoi, cette nuit, Hartlepool, moi et quelques autres, nous sommes allés reprendre ces quinze fusils qui ont été distribués aux hommes du Bourg-Neuf. Nous sommes armés maintenant et maîtres par conséquent d’imposer nos volontés. Or, les choses en sont arrivées à un point qu’une plus longue patience serait un véritable crime. Il faut agir. Mon parti est pris. Si vous persistez dans votre refus, je me mettrai moi-même à la tête de ces braves gens. Malheureusement, je n’ai, ni votre influence, ni votre autorité. On ne m’écoutera pas, et le sang coulera. À vous, au contraire, on obéira sans murmure. Décidez.

— Qu’y a-t-il donc de nouveau ? demanda le Kaw-djer avec son calme habituel.

— Ceci, répondit Harry Rhodes, en étendant la main vers la maison où Halg agonisait.

Le Kaw-djer tressaillit.

— Et ceci encore, ajouta Harry Rhodes, en l’entraînant de quelques pas vers l’amont.

Tous deux gravirent la berge qui, en cet endroit, dominait la rive droite. Libéria et la plaine marécageuse qui les en séparait apparurent à leurs regards.

Dès les premières heures du matin, on s’était, au campement réveillé avec la fièvre. Il s’agissait de compléter l’œuvre de la veille, en procédant aux funérailles solennelles des trois morts. La perspective de cette cérémonie mettait tout le monde en ébullition. Pour les camarades des victimes, il s’agissait d’une manifestation ; pour les partisans de Beauval, d’un danger ; pour les autres, d’un spectacle.

La population tout entière, à l’exception du seul Beauval, qui avait jugé plus sage de se tenir enfermé, suivit donc les trois cercueils. On ne négligea pas de faire passer le cortège devant la maison du gouverneur, ni de s’arrêter sur le terre-plein, ce