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demandaient les Romains. Lui, Beauval, n’avait-il pas satisfait à cette antique revendication ? Le pain, le Ribarto l’avait assuré, et les récoltes futures feraient le reste. Les plaisirs, le violon de Fritz Gross les représentait, en admettant que tout ne fût pas plaisir dans ce farniente perpétuel, au milieu duquel s’écoulait l’existence de la fraction de la colonie qui avait le bonheur de vivre sous l’autorité immédiate du gouverneur.

Le mois de février, puis le mois de mars s’écoulèrent, sans que fût troublé l’optimisme de celui-ci. Quelques discussions, voire quelques rixes troublaient bien parfois la paix de Libéria. Mais c’étaient là des incidents sans importance sur lesquels Beauval estimait très politique de fermer les yeux.

Les derniers jours du mois de mars amenèrent malheureusement la fin de sa quiétude. Le premier incident qui la troubla et fut comme le prélude des dramatiques péripéties qui n’allaient pas tarder à se dérouler, n’avait par lui-même aucune importance. Il ne s’agissait encore que d’une altercation, mais cette altercation, en raison de son caractère et de ses conséquences, ne parut pas à Beauval devoir comporter une solution pacifique, et il jugea nécessaire de sortir de son habile effacement. Mal lui en prit, d’ailleurs, et son intervention eut un résultat sur lequel il ne comptait guère.

Halg fut, à son corps défendant, le héros de cet incident.

Après la bataille inégale qu’il avait été obligé de soutenir contre Sirk et les quatre émigrants qui accompagnaient celui-ci, plusieurs semaines s’étaient écoulées sans qu’il revît son rival. Par crainte probablement d’une intervention plus efficace du Kaw-djer, ses agresseurs avaient, depuis lors, cessé de prétendre au produit de sa pêche. Bientôt, d’ailleurs, l’arrivée du Ribarto mit tout le monde d’accord. Qu’importaient quelques poissons de plus ou de moins, maintenant que les provisions étaient devenues si abondantes qu’on pouvait à bon droit les considérer comme inépuisables ?

Malheureusement, la cargaison du Ribarto n’était pas exclusivement formée de denrées alimentaires. Le navire contenait aussi une certaine quantité d’alcool, et, Beauval ayant commis l’imprudence de le distribuer, le pernicieux breuvage avait aussitôt porté le trouble dans le campement.

Chez les Ceroni, les choses prirent tout particulièrement