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commandant. Quand il se tut, il avait sa casquette à la main.

« Vous faites erreur, monsieur, dit froidement le Kaw-djer.

— Je jurerais, pourtant…

— À quelle époque remonterait le portrait en question ? interrompit le Kaw-djer.

— À une dizaine d’années environ. »

Le Kaw-djer n’hésita pas à dénaturer quelque peu la vérité.

— Il y a plus de vingt ans, répliqua-t-il, que j’ai quitté ce que vous appelez le monde. Ce n’est donc pas moi que ce portrait représente. D’ailleurs, pourriez-vous me reconnaître ?… Il y a vingt ans, j’étais jeune. Et maintenant !…

— Quel âge avez-vous donc ? » interrogea étourdiment le commandant.

Sa curiosité, surexcitée par l’étrange mystère qu’il pressentait et qu’il se croyait sur le point d’élucider, ne lui laissant pas le temps de la réflexion, la question était partie toute seule. À peine l’eut-il formulée qu’il en comprit l’incorrection.

— Vous ai-je demandé le vôtre ? riposta le Kaw-djer d’un ton froid.

Le commandant se mordit les lèvres.

— Je présume, reprit le Kaw-djer, que vous ne m’avez pas abordé pour que nous causions photographie. Venons au fait, je vous prie.

— Soit !… » acquiesça le commandant.

D’un geste sec, il remit sa casquette galonnée.

— Mon gouvernement, dit-il, en adoptant de nouveau le ton officiel, m’a chargé de m’enquérir de vos intentions.

— Mes intentions ?… répéta le Kaw-djer surpris. À quel sujet ?

— Au sujet de votre résidence.

— Que lui importe ?

— Il lui importe beaucoup.

— Bah !…

— C’est ainsi. Mon gouvernement n’est pas sans connaître votre influence sur les indigènes de l’archipel, et il n’a cessé de tenir cette influence en sérieuse considération.

— Trop aimable !… dit ironiquement le Kaw-djer.

— Tant que la Magellanie est demeurée res nullius, poursuivit le commandant, il n’y avait qu’à rester dans l’expectative. Mais la situation a changé de face depuis le partage. Après l’annexion…