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— Un révolutionnaire !… Qu’entendez-vous par ce mot, monsieur le gouverneur ?

— Pour moi comme pour tout le monde, expliqua Beauval, un révolutionnaire est un homme qui s’insurge contre les lois et refuse de se soumettre aux autorités régulièrement instituées.

— Le Kaw-djer vous aurait-il donc créé des difficultés ?

— J’ai fort à faire avec lui, dit Beauval d’un air important. C’est ce qu’on appelle une forte tête… Mais je le materai, affirma-t-il énergiquement.

Le commandant du navire chilien semblait très intéressé. Après un instant de réflexion, il demanda :

— Serait-il possible de voir ce Kaw-djer, sur lequel s’est portée à plusieurs reprises l’attention de mon gouvernement ?

— Rien de plus facile, répondit Beauval… Et tenez ! précisément, le voici qui vient de notre côté. »

Ce disant, Beauval montrait de la main le Kaw-djer en train de traverser la rivière sur le ponceau. Le commandant se porta à sa rencontre.

« Un mot, monsieur, s’il vous plaît », dit-il en soulevant légèrement sa casquette galonnée.

Le Kaw-djer s’arrêta.

— Je vous écoute, répondit-il dans le plus pur espagnol.

Mais le commandant ne parla pas tout de suite. Les yeux fixes, la bouche entrouverte, il dévisageait le Kaw-djer avec une stupéfaction qu’il ne cherchait pas à dissimuler.

— Eh bien ?… fit celui-ci impatienté.

— Veuillez m’excuser, monsieur, dit enfin le commandant. En vous voyant, il m’a semblé vous reconnaître, comme si nous nous étions déjà rencontrés autrefois.

— C’est peu probable, répliqua le Kaw-djer dont les lèvres esquissèrent un sourire ironique.

— Cependant…

Le commandant s’interrompit et, se frappant le front.

— J’y suis !… s’écria-t-il. Vous avez raison. Je ne vous ai jamais vu, en effet. Mais vous ressemblez à un portrait qui a été répandu par millions d’exemplaires, au point qu’il me paraît impossible que ce portrait ne soit pas le vôtre.

À mesure qu’il parlait, une sorte de trouble respectueux assourdissait progressivement la voix, modifiait l’attitude du