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sirent, avec l’aide des charpentiers, à fabriquer deux petites embarcations et lancèrent à leur tour lignes et filets.

Mais pêcher est un métier comme un autre.

Qui veut l’exercer avec fruit doit l’avoir appris par la pratique. Les amateurs en firent l’expérience. Tandis que les filets de Karroly et de son fils, d’Hartlepool et de ses marins, crevaient sous le poids des poissons, les leurs remontaient vides le plus souvent. Ils ne pouvaient guère compter sur ce moyen pour se constituer une réserve. Tout au plus réussissaient-ils à varier parfois leur ordinaire quotidien. Encore arrivait-il que ce modeste résultat ne fût pas atteint et qu’ils revinssent bredouilles, pour employer ce terme consacré.

Un jour où leurs efforts avaient eu cette fortune, le canot de ces apprentis pêcheurs croisa la Wel-Kiej qui rentrait au mouillage sous la conduite de Halg et de Karroly. Sur le pont de la chaloupe s’étalaient, bien rangés les uns près des autres, une vingtaine de poissons, dont quelques-uns de belle taille. Cette vue excita la convoitise des pêcheurs malheureux.

« Eh !… l’Indien !… » appela l’un des ouvriers formant l’équipage du canot.

Karroly laissa porter.

— Que voulez-vous ? demanda-t-il, quand la Wel-Kiej se fut rapprochée.

— Vous n’avez pas honte d’avoir un chargement pareil pour vous tout seuls, quand il y a de pauvres diables obligés de se serrer le ventre ? » interrogea plaisamment le même ouvrier.

Karroly se mit à rire. Il était trop pénétré des principes altruistes du Kaw-djer pour hésiter sur la réponse. Ce qui était à lui était aux autres. Partager, quand on a plus que le nécessaire, avec celui qui ne l’a pas, rien de plus naturel.

— Attrape !… dit-il.

— Envoyez !… »

La moitié des poissons, lancés à la volée, passèrent de la Wel-Kiej au canot.

— Merci, camarade !… » s’écrièrent d’une même voix les ouvriers en se remettant aux avirons.

Bien qu’il eût reconnu Sirk parmi les quémandeurs, Halg ne s’était pas opposé à cet acte de générosité. Sirk n’était pas seul, et, d’ailleurs, on ne doit refuser à personne, fût-ce à un ennemi,