Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la Patagonie et de la Terre de Feu placée sous sa souveraineté. Sur son propre domaine, le Chili avait toute liberté d’agir au mieux de ses intérêts. Mais il ne suffit pas d’entrer en possession d’une contrée et d’empêcher que d’autres nations puissent s’y créer des droits de premier occupant. Ce qu’il faut, c’est en tirer avantage, en exploitant les richesses de son sol au point de vue minéral et végétal. Ce qu’il faut, c’est l’enrichir par l’industrie et le commerce, c’est y attirer une population, si elle est inhabitée ; c’est, en un mot, la coloniser. L’exemple de ce qui s’était déjà fait sur le littoral du détroit de Magellan, où Punta-Arenas voyait chaque année s’accroître son importance commerciale, devait encourager la République du Chili à tenter une nouvelle expérience, et à provoquer l’exode des émigrants vers les îles de l’archipel magellanique passées sous sa domination, afin de vivifier cette région fertile, abandonnée jusqu’alors à de misérables tribus indiennes.

Et précisément, voici que sur l’île Hoste, située au milieu de ce labyrinthe des canaux du Sud, un grand navire était venu se jeter à la côte ; voici que plus de mille émigrants de nationalités diverses, mais appartenant tous à ce trop-plein des grandes villes qui n’hésite pas à chercher fortune jusque dans les lointaines régions d’outre-mer, avaient été dans l’obligation de s’y réfugier.

Le gouvernement chilien se dit avec raison que c’était là une occasion inespérée de transformer les naufragés du Jonathan en colons de l’île Hoste. Ce ne fut donc pas un navire de rapatriement qu’il leur envoya, ce fut un aviso dont le commandant fut chargé de transmettre ses propositions aux intéressés.

Ces propositions, du caractère le plus inattendu, étaient en même temps des plus tentantes : la République du Chili offrait de se dessaisir purement et simplement de l’île Hoste au profit des naufragés du Jonathan, qui en disposeraient à leur gré, non en vertu d’une concession temporaire, mais en toute propriété, sans aucune condition ni restriction.

Rien de plus clair, rien de plus net, que cette proposition. On ajoutera : rien de plus adroit. En renonçant à l’île Hoste, afin d’en assurer l’immédiate mise en valeur, le Chili attirerait, en effet, des colons dans les autres îles, Clarence, Dawson, Navarin, Hermitte, demeurées sous sa domination. Si la nouvelle colonie