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À ce moment, derrière le Kaw-djer, une voix demanda :

— De quel droit donnez-vous des ordres à cet homme ?

Le Kaw-djer se retourna et aperçut Lewis Dorick qui, en compagnie de Fred Moore, avait assisté à l’exécution de Kennedy.

— Et de quel droit m’interrogez-vous ? répondit-il d’une voix hautaine.

Se voyant soutenu, Kennedy avait remis son béret. Il ricanait avec insolence.

— Si je ne l’ai pas, je le prends, riposta Lewis Dorick. Ce ne serait pas la peine d’habiter une île Hoste pour y obéir à un maître.

Un maître !… Il se trouvait quelqu’un pour accuser le Kaw-djer d’agir en maître !

— Eh !… c’est assez la coutume de Monsieur, intervint Fred Moore, en prononçant ce dernier mot avec emphase. Monsieur n’est pas comme les autres, sans doute. Il commande, il tranche… Monsieur est l’empereur, peut-être ?

Le cercle se resserra autour du Kaw-djer.

— Cet homme, dit Dorick de sa voix cinglante, n’est tenu d’obéir à personne. Il reprendra, si cela lui plaît, sa place dans l’équipage.

Le Kaw-djer garda le silence, mais, ses adversaires faisant un nouveau pas en avant, il serra les poings.

Allait-il donc être obligé de se défendre par la force ? Certes, il ne craignait pas de tels ennemis. Ils étaient trois. Ils auraient pu être dix. Mais quelle honte qu’un être pensant fût obligé d’employer les mêmes arguments que la brute !

Le Kaw-djer n’en fut pas réduit à cette extrémité. Harry Rhodes et Hartlepool l’avaient suivi, prêts à lui prêter main forte. Ils apparaissaient au loin. Dorick, Moore et Kennedy battirent aussitôt en retraite.

Le Kaw-djer les suivait d’un regard attristé, quand des vociférations éclatèrent du côté de la rivière. Il se porta dans cette direction avec ses deux compagnons. Ils ne tardèrent pas à distinguer un groupe nombreux d’où s’élevaient les cris qui avaient attiré leur attention. Presque tous les émigrants semblaient être réunis au même point en une foule serrée que de grands remous faisaient ondoyer. Au-dessus de la foule, des