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— Par qui ? interrompit, en fronçant le sourcil, le Kaw-djer qui répugnait à l’espionnage.

— Par les mousses, répondit Hartlepool. Ils ne sont pas bêtes non plus, et ils ont déniché le pot aux roses. Ils ont pincé en flagrant délit Kennedy hier et Sirdey ce matin, au moment où, profitant de l’inattention de leur compagnon de garde, ils vidaient une moque de rhum dans la gourde de Patterson.

Le souvenir du martyre de Tullia et de Graziella, et aussi la pensée de Halg, firent oublier pour un instant au Kaw-djer ses doctrines libertaires.

— Ce sont des traîtres, dit-il. Il faut sévir contre eux.

— C’est aussi mon avis, approuva Hartlepool, et c’est pourquoi je suis venu vous chercher.

— Moi ?… Pourquoi ne pas faire le nécessaire vous-même ? »

Hartlepool secoua la tête, en homme qui voit clairement les choses.

— Depuis la perte du Jonathan, je n’ai plus d’autre autorité que celle qu’on veut bien me reconnaître, expliqua-t-il. Ceux-là ne m’écouteraient pas.

— Pourquoi m’écouteraient-ils davantage ?

— Parce qu’ils vous craignent. »

Le Kaw-djer fut très frappé de la réponse. Quelqu’un le craignait donc ? Ce ne pouvait être qu’à cause de sa force supérieure. Toujours le même argument : la force, à la base des premiers rapports sociaux.

— J’y vais », dit-il d’un air sombre.

Il se dirigea en droite ligne vers la tente qui abritait la cargaison du Jonathan. Kennedy précisément venait de reprendre la garde.

« Vous avez trahi la confiance qu’on avait en vous… prononça sévèrement le Kaw-djer.

— Mais, monsieur… balbutia Kennedy.

— Vous l’avez trahie, affirma le Kaw-djer d’un ton froid. À partir de cet instant, Sirdey et vous ne faites plus partie de l’équipage du Jonathan.

— Mais… voulut encore protester Kennedy.

— J’espère que vous ne vous le ferez pas répéter.

— C’est bon, monsieur… c’est bon… bégaya Kennedy, retirant humblement son béret.