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il comprenait que l’intervention de rivaux allait encore compliquer les choses, en excitant la jalousie du premier en date et en provoquant peut-être des scènes regrettables.

En ce qui concernait la question de l’alcool, la découverte de Halg n’avait fait que déplacer la difficulté sans la résoudre. On avait découvert le fournisseur de Ceroni. Mais où ce fournisseur se procurait-il l’alcool qu’il vendait ? Patterson, dont il connaissait l’abominable nature, possédait-il un stock en réserve quelque part ? C’était peu croyable. En admettant qu’il eût réussi, malgré la sévérité des règlements et la surveillance du capitaine Leccar, à embarquer une pacotille prohibée au départ, où l’eût-il cachée depuis le naufrage ? Non, il puisait nécessairement dans la cargaison du Jonathan. Mais par quel moyen, puisqu’elle était gardée nuit et jour ? Que le voleur fût Ceroni ou Patterson, la difficulté restait la même.

Les jours suivants n’amenèrent pas la solution du problème. Tout ce qu’il fut possible de constater, c’est que Lazare Ceroni continuait à s’enivrer comme par le passé.

Le temps s’écoula. On arriva au 15 septembre. Les réparations de la Wel-Kiej furent terminées à cette date. La chaloupe était remise en bon état au moment où la mer allait redevenir praticable.

La longueur croissante des jours annonçait l’équinoxe du printemps. Dans une semaine, on en aurait fini avec l’hiver.

Toutefois, avant de céder la place, la mauvaise saison eut un retour offensif. Pendant huit jours, un ouragan plus violent que ceux qui l’avaient précédé hurla sur l’île Hoste, obligeant les émigrants à se terrer une dernière fois. Puis le beau temps revint, et aussitôt la nature endormie commença à se réveiller.

Au début d’octobre, le campement reçut la visite de quelques Fuégiens. Ces indigènes se montrèrent très surpris de trouver l’île Hoste habitée par une si nombreuse population. Le naufrage du Jonathan, survenu au début de la période hivernale, était, en effet, resté inconnu des Indiens de l’archipel. Nul doute que la nouvelle ne s’en répandit désormais rapidement.

Les émigrants n’eurent qu’à se louer de leurs rapports avec ces quelques familles de Pêcherais. Par contre, il n’est pas certain que ceux-ci en eussent pu dire autant. Il y eut, en très petit nombre il est vrai, des civilisés, tels que les frères Moore, par