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Sand eussent probablement été les seuls de cet avis. Autant le temps leur semblait court, autant il semblait long aux autres, confinés le plus souvent dans leurs inconfortables demeures.

Bien entendu, il convient de faire exception pour Lewis Dorick et son cortège de chapardeurs. Pour ceux-ci, l’hivernage s’écoulait agréablement. Ces malins avaient résolu la question sociale. Ils vivaient comme en pays conquis, ne se privant de rien, thésaurisant même, en vue de mauvais jours possibles.

C’était merveille que leurs victimes fissent preuve d’une telle longanimité. Il en était ainsi cependant. Les exploités représentaient assurément le nombre, mais ils l’ignoraient, et il ne leur venait même pas à la pensée de grouper leurs forces éparses. La bande de Dorick formait au contraire un faisceau compact et s’imposait par la peur à chaque émigrant individuellement. En fait, personne n’osait résister aux exactions de ces tyrans.

Par des moyens moins répréhensibles, une cinquantaine d’autres naufragés avaient également réussi à lutter contre la dépression qui résultait de cette vie stagnante. Sous la direction de Karroly, ils occupaient leurs loisirs à pourchasser les loups marins.

C’est un difficile métier que celui de louvetier. Après avoir attendu patiemment que les amphibies, dont la méfiance est très grande, s’aventurent sur le rivage, il faut faire en sorte de les cerner sans leur laisser le temps de prendre la fuite. L’opération ne va pas sans risques, ces animaux choisissant toujours les points les plus escarpés pour s’y livrer à leurs ébats.

Bien guidés par Karroly, les chasseurs obtinrent un brillant succès. Ils firent un butin considérable de loups marins, dont la graisse pouvait être utilisée pour l’éclairage et le chauffage, et dont les peaux assureraient un bénéfice important, au jour du rapatriement.

Abstraction faite de ces énergiques, les émigrants, très déprimés, préféraient se terrer frileusement dans leurs demeures. La température n’était pas excessive pourtant. Pendant la période la plus froide, qui s’étendit du 15 juillet au 15 août, le minimum thermométrique fut de douze degrés, et la moyenne de cinq degrés au-dessous de zéro. Les affirmations du Kaw-djer étaient donc justifiées, et la vie dans cette région n’aurait rien eu de particulièrement cruel, n’eût été la fréquence du mau-