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inventaient mille jeux dont l’agrément se mesurait à la violence.

Au cours d’une de leurs randonnées au bord de la mer, ils découvrirent, un jour qu’ils n’étaient accompagnés par hasard que de trois ou quatre enfants, une grotte naturelle creusée dans les flancs de la falaise, au revers du cap limitant à l’Est la baie Scotchwell. Cette grotte, dont l’ouverture, orientée au Sud, regardait par conséquent le rivage sur lequel s’était perdu le Jonathan, n’eût pas retenu longtemps leur attention sans une particularité qui la rendait infiniment plus intéressante. Au fond s’ouvrait une fissure aboutissant, après deux ou trois mètres, à une seconde caverne entièrement souterraine, où naissait une galerie sinueuse, qui s’élevait, au travers du massif, jusqu’à une grotte supérieure, ouverte, celle-ci, sur le versant nord de la falaise. De là, on apercevait le campement, où l’on pouvait descendre en se laissant glisser sur la pente rocailleuse.

Cette découverte remplit d’aise les petits explorateurs. Ils se gardèrent bien de la publier.

Ce chapelet de grottes, c’était un domaine qui leur appartenait et dont ils étaient friands de conserver l’exclusive propriété. Ils y allèrent, au contraire, en grand mystère, afin d’y organiser des amusements supérieurs. Ils y furent successivement des sauvages, des Robinsons, des voleurs, avec la même passion.

De quels cris retentirent ces voûtes souterraines ! De quelles effrénées galopades résonna la galerie qui réunissait les deux étages du système !

La traversée de cette galerie n’était pas sans danger, cependant. En un point de son parcours, elle paraissait prête à s’effondrer. Là, son toit, élevé d’un mètre tout au plus, n’était soutenu que par un bloc unique, dont la base mordait à peine sur un autre roc incliné et que le plus petit effort eût fait glisser. De là, nécessité de s’avancer sur les genoux et de s’insinuer avec la plus extrême prudence dans l’espace étroit restant libre entre le bloc instable et la paroi de la galerie. Mais ce danger pour terrifiant qu’il fût en réalité, n’effrayait pas les enfants, et son seul effet était de donner plus de piquant à leurs jeux.

Ainsi Dick et Sand occupaient joyeusement leur temps. Ils ne se souciaient de rien, pas même de leur ennemi, Fred Moore, qu’ils rencontraient parfois de loin et devant lequel ils prenaient alors la fuite sans vergogne. L’émigrant n’essayait pas, d’ailleurs,