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Dès lors, l’aventure se reconstituait aisément. Le bateau mal dirigé avait dû toucher sur des récifs, un peu au-delà de la baie. Une voie d’eau s’était déclarée, et l’embarcation alourdie avait chaviré. Des quatre hommes qui la montaient, deux, Kennedy et Sirdey selon toute probabilité, avaient réussi à gagner la terre à la nage, mais les deux autres n’avaient pu échapper à la mort, et, à la première marée, leurs corps étaient venus à la côte, en même temps que la Wel-Kiej à demi fracassée par la houle.

Après sérieux examen, le Kaw-djer reconnut que les débris de la chaloupe étaient encore utilisables. Si la plupart des bordés étaient plus ou moins brisés, la membrure n’avait que très peu souffert, et la quille était intacte. Ce qui restait de la Wel-Kiej fut donc hissé à force de bras hors de l’atteinte de la mer en attendant le moment où l’on aurait le loisir de la réparer.

Le transport du matériel fut entièrement achevé le 13 mai. Sans perdre de temps, on se mit en devoir d’installer les maisons démontables. On vit celles-ci, d’un très ingénieux système, s’élever à vue d’œil avec une rapidité prodigieuse. Aussitôt terminées, elles étaient immédiatement occupées, non sans donner chaque fois prétexte à de violentes altercations. Il s’en fallait de beaucoup, en effet, qu’elles fussent en assez grand nombre pour contenir douze cents personnes. C’est tout au plus si les deux tiers des naufragés pouvaient raisonnablement espérer y trouver place. De là, nécessité de procéder à une sélection.

Cette sélection s’opéra à coups de poings. Les plus robustes, ayant commencé par s’emparer des divers éléments des maisons démontables, prétendirent défendre l’accès de celles-ci, lorsqu’elles furent édifiées. Quelle que fût leur vigueur, il leur fallut toutefois céder au nombre et entrer en composition avec une partie de ceux qu’ils essayaient d’évincer. Il y eut ainsi une seconde série d’élus, et par conséquent une seconde sélection, basée, comme la première, sur la force des compétiteurs. Puis, quand les maisons abritèrent des garnisons assez imposantes pour être en état de braver sans péril le surplus des émigrants, ces derniers furent définitivement éliminés.

Près de cinq cents personnes, des femmes et des enfants en majorité, furent ainsi réduites à se contenter de l’abri des tentes. Plus rares étaient les hommes, en général des pères et des maris obligés de suivre le sort de leur famille. Parmi les autres,