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les dames de feu

Les plus superstitieux affirmaient avoir vu, de leurs yeux vu, ces fantastiques créatures. Naturellement, Jack Ryan était de ces derniers.

La vérité est que, de temps à autre, de longues flammes apparaissaient, tantôt sur un pan de mur à demi éboulé, tantôt au sommet de la tour qui domine l’ensemble des ruines de Dundonald-Castle.

Ces flammes avaient-elles forme humaine, comme on l’assurait ? Méritaient-elles ce nom de « Dames de feu » que leur avaient donné les Écossais du littoral ? Ce n’était évidemment là qu’une illusion de cerveaux portés à la crédulité, et la science eût expliqué physiquement ce phénomène.

Quoi qu’il en soit, les Dames de feu avaient dans toute la contrée la réputation bien établie de fréquenter les ruines du vieux château et d’y exécuter, parfois, d’étranges sarabandes, surtout pendant les nuits obscures. Jack Ryan, quelque hardi compagnon qu’il fût, ne se serait point hasardé à les accompagner aux sons de sa cornemuse.

« Le vieux Nick leur suffit ! disait-il, et il n’a pas besoin de moi pour compléter son orchestre infernal ! »

On le pense bien, ces bizarres apparitions formaient le texte obligé des récits pendant la veillée. Aussi, Jack Ryan possédait-il tout un répertoire de légendes sur les Dames de feu, et ne se trouvait-il jamais à court, quand il s’agissait d’en conter à leur sujet !

Donc, pendant cette dernière veillée, bien arrosée d’ale, de brandy et de whisky, qui avait terminé la fête du clan d’Irvine, Jack Ryan n’avait pas manqué de reprendre son thème favori, au grand plaisir et peut-être au grand effroi de ses auditeurs.

La veillée se faisait dans une vaste grange de la ferme de Melrose, sur la limite du littoral. Un bon feu de coke brûlait dans un large trépied de tôle, au milieu de l’assemblée.

Il y avait gros temps au-dehors. Des brumes épaisses roulaient sur les lames, qu’une forte brise de sud-ouest amenait du large. Une nuit très noire, pas une seule éclaircie dans les nuages, la terre, le ciel et l’eau se confondant dans de profondes ténèbres, c’était là de quoi rendre difficiles les atterrages de la baie d’Irvine, si quelque navire s’y fût aventuré avec ces vents qui battaient en côte.

Le petit port d’Irvine n’est pas très fréquenté, — du moins par les navires d’un certain tonnage. C’est un peu plus au nord que les bâtiments de commerce, à voiles ou vapeur, attaquent la terre, lorsqu’ils veulent donner dans le golfe de Clyde.