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que le gîte carbonifère était entièrement épuisé. L’exploitation cessa. Les mineurs se retirèrent.

Le croira-t-on ? Ce fut un désespoir pour le plus grand nombre. Tous ceux qui savent que l’homme, au fond, aime sa peine, ne s’en étonneront pas. Simon Ford, sans contredit, fut le plus atteint. Il était, par excellence, le type du mineur, dont l’existence est indissolublement liée à celle de sa mine. Depuis sa naissance, il n’avait cessé de l’habiter, et, lorsque les travaux furent abandonnés, il voulut y demeurer encore. Il resta donc. Harry, son fils, fut chargé du ravitaillement de l’habitation souterraine ; mais quant à lui, depuis dix ans, il n’était pas remonté dix fois à la surface du sol.

« Aller là-haut ! À quoi bon ? » répétait-il, et il ne quittait pas son noir domaine.

Dans ce milieu parfaitement sain, d’ailleurs, soumis à une température toujours moyenne, le vieil overman ne connaissait ni les chaleurs de l’été, ni les froids de l’hiver. Les siens se portaient bien. Que pouvait-il désirer de plus ?

Au fond, il était sérieusement attristé. Il regrettait l’animation, le mouvement, la vie d’autrefois, dans la fosse si laborieusement exploitée. Cependant, il était soutenu par une idée fixe.

« Non ! non ! la houillère n’est pas épuisée ! » répétait-il.

Et celui-là se serait fait un mauvais parti, qui aurait mis en doute devant Simon Ford qu’un jour l’ancienne Aberfoyle ressusciterait d’entre les mortes ! Il n’avait donc jamais abandonné l’espoir de découvrir quelque nouvelle couche qui rendrait à la mine sa splendeur passée. Oui ! il aurait volontiers, s’il l’avait fallu, repris le pic du mineur, et ses vieux bras, solides encore, se seraient vigoureusement attaqués à la roche. Il allait donc à travers les obscures galeries, tantôt seul, tantôt avec son fils, observant, cherchant, pour rentrer chaque jour fatigué, mais non désespéré, au cottage.

La digne compagne de Simon Ford, c’était Madge, grande et forte, la « goodwife », la « bonne femme », suivant l’expression écossaise. Pas plus que son mari, Madge n’eût voulu quitter la fosse Dochart. Elle partageait à cet égard toutes ses espérances et ses regrets. Elle l’encourageait, elle le poussait en avant, elle lui parlait avec une sorte de gravité, qui réchauffait le cœur du vieil overman.

« Aberfoyle n’est qu’endormie, Simon, lui disait-elle. C’est toi qui as raison. Ce n’est qu’un repos, ce n’est pas la mort ! »

Madge savait aussi se passer du monde extérieur et concentrer le bonheur d’une existence à trois dans le sombre cottage.

Ce fut là qu’arriva James Starr.