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LES FRÈRES KIP

C’était bien cette proposition qu’attendait Pieter Kip. Pour sa part, il n’était pas sans y avoir songé, sans y avoir réfléchi, sans en avoir pesé le pour et le contre. Oui !… l’occasion venue, lorsqu’il donnerait ce billet aux deux Irlandais, lorsque ceux-ci en auraient connaissance, lorsqu’ils apprendraient que tout était prêt pour leur évasion, que le navire allait rallier la pointe Saint-James, qu’un canot les y attendrait dans la soirée du 5, eh bien ! si Pieter Kip leur disait alors : « Nous vous demandons de fuir avec vous », est-ce qu’ils pourraient leur répondre par un refus ?… Est-ce qu’ils les repousseraient comme indignes de les suivre ?…

Et cependant, pour ces fenians, les frères Kip étaient des criminels qui ne méritaient aucune pitié, et, les associer à leur fuite, ne serait-ce pas rendre la liberté aux assassins du capitaine Gibson ?…

Pieter Kip avait pensé à tout cela et, en même temps, aux démarches que M. Hawkins ne cessait de faire pour obtenir la révision de leur procès… Et qu’il leur fût permis de fuir, il ne pouvait se faire à cette idée !…

Mais, d’autre part, s’il avait confiance dans l’avenir, Karl partageait-il cette confiance ?… Non, et attendre une réhabilitation, incertaine ou lointaine, il n’aurait pu s’y résoudre !… Et pourtant ce que Pieter lui dit alors l’impressionna vivement. Le cœur frémissant, l’âme troublée, il l’écoutait, il se sentait peu à peu faiblir…

« Frère, écoute-moi… J’ai bien réfléchi !… J’admets… oui !… après ce que nous aurons fait pour eux… j’admets que O’Brien et Macarthy ne puissent nous refuser de partir avec eux… bien qu’ils ne voient en nous que des assassins…

— Que nous ne sommes pas !… s’écria Karl Kip.

— Que nous sommes à leurs yeux… comme pour tant d’autres… comme pour tous, sauf M. Hawkins, peut-être !… Eh bien, si nous