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LES FRÈRES KIP

dortoirs du pénitencier, où les convicts sont enfermés par bandes de quarante. Ah ! quel adoucissement à tant de misères, si, à ce moment, il leur eût été permis de se rencontrer, de reposer l’un près de l’autre, ou même sur les chantiers, lorsqu’ils y passaient toute la nuit en plein air !

Un seul jour de la semaine, le dimanche, Karl et Pieter Kip avaient cette joie de s’entrevoir, lorsque les forçats se réunissaient dans la chapelle que desservait un ministre méthodiste. Et que devaient-ils penser de la justice des hommes, eux innocents, dans la promiscuité de ces criminels dont les chaînes bruissaient lamentablement entre les chants et les prières ?…

Ce qui brisait le cœur de Karl Kip, ce qui provoquait en lui des mouvements de révolte dont les conséquences eussent été graves, c’était que son frère fût assujetti à de si pénibles besognes. Lui, d’une santé de fer, d’une vigueur exceptionnelle, il aurait la force de les supporter, bien que la ration du bagne suffît à peine à le nourrir : trois quarts de livre de viande fraîche ou huit onces de viande salée, une demi-livre de pain ou quatre onces de farine, une demi-livre de pommes de terre. Mais Pieter, de constitution moins forte, n’y succomberait-il pas ?… Après les dernières chaleurs d’un climat presque tropical, uniquement vêtus de la mauvaise défroque jaune du bagne, ils allaient souffrir de la bise intense, des froids, des rafales glaciales et des neiges épaisses. Le travail, il faudrait le continuer sous les menaces des constables, sous le fouet des gardes-chiourme. Aucun repos, si ce n’est aux courts instants du repas vers le milieu de la journée, en attendant le retour au pénitencier. Puis, à la moindre velléité de résistance, les punitions disciplinaires de s’abattre sur ces malheureux, l’emprisonnement dans les cachots, le supplice de la « chain-gang », enfin, le plus terrible de tous après la mort et qui l’amenait quelquefois, la fustigation du coupable, déchiré par les lanières du cat !