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LA TAVERNE DES « THREE-MAGPIES ».

vapeurs d’alcool et de tabac qui épaississaient l’atmosphère de cette salle. On se fût grisé rien qu’en respirant.

Flig Balt, âgé de trente-huit à trente-neuf ans, était de taille moyenne, large d’épaules, la tête forte, la membrure vigoureuse. Sa figure, on n’aurait pu l’oublier, ne l’eût-on vue qu’une fois : grosse verrue à la joue gauche, yeux d’une effrayante dureté, sourcils épais et frisottants, barbiche rougeâtre à l’américaine, sans moustaches, bref la physionomie d’un homme haineux, jaloux, vindicatif. À son premier voyage sur le James-Cook, il avait embarqué comme maître quelques mois auparavant. Originaire de Queenstown, un port du Royaume-Uni, ses papiers le déclaraient Irlandais de naissance. Mais, courant les mers depuis une vingtaine d’années, on ne lui connaissait pas de parents. Et combien de ces marins n’ont d’autre famille que les compagnons de bord, d’autre pays que le bâtiment en cours de navigation ! Il semble que leur nationalité change avec celle du navire. En ce qui concernait son service, Flig Balt le faisait sévèrement, ponctuellement, et, tout en n’étant que maître d’équipage, il remplissait à bord les fonctions de second. Aussi le capitaine Gibson croyait-il pouvoir s’en rapporter à lui touchant le détail, se réservant la haute main pour le commandement du brick.

En réalité, Flig Balt n’était qu’un misérable en quête de quelque mauvais coup, très poussé par ce Vin Mod dont il subissait la détestable influence et l’incontestable supériorité, Et peut-être allait-il trouver l’occasion de mettre à exécution ses criminels projets…

« Je vous répète, dit le matelot, que, dans la taverne des Three-Magpies, il n’y a qu’à prendre, les yeux fermés… Nous rencontrerons ici les hommes qu’il nous faut, et disposés à faire le commerce pour leur propre compte…

— Encore convient-il, observa Flig Balt, de savoir d’où ils viennent…