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On partit. Le temps était superbe, le ciel d’une limpidité parfaite, et l’atmosphère suffisamment rafraîchie par les brises de la mer, malgré les ardeurs du soleil. La petite troupe suivit d’un pas rapide les sinueux rivages de la baie de Talcahuano, afin de gagner à trente milles au sud l’extrémité du parallèle. On marcha rapidement pendant cette première journée à travers les roseaux d’anciens marais desséchés, mais on parla peu. Les adieux du départ avaient laissé une vive impression dans l’esprit des voyageurs. Ils pouvaient voir encore la fumée du Duncan qui se perdait à l’horizon. Tous se taisaient, à l’exception de Paganel ; ce studieux géographe se posait à lui-même des questions en espagnol, et se répondait dans cette langue nouvelle.

Le catapaz, au surplus, était un homme assez taciturne, et que sa profession n’avait pas dû rendre bavard. Il parlait à peine à ses péons. Ceux-ci, en gens du métier, entendaient fort bien leur service. Si quelque mule s’arrêtait, ils la stimulaient d’un cri guttural ; si le cri ne suffisait pas, un bon caillou, lancé d’une main sûre, avait raison de son entêtement. Qu’une sangle vînt à se détacher, une bride à manquer, le péon, se débarrassant de son puncho, enveloppait la tête de la mule, qui, l’accident réparé, reprenait aussitôt sa marche.

L’habitude des muletiers est de partir à huit heures après le déjeuner du matin, et d’aller ainsi jusqu’au moment de la couchée, à quatre heures du soir. Glenarvan s’en tint à cet usage. Or, précisément, quand le signal de halte fut donné par le catapaz, les voyageurs arrivaient à la ville d’Arauco, située à l’extrémité sud de la baie, sans avoir abandonné la lisière écumeuse de l’Océan. Il eût alors fallu marcher pendant une vingtaine de milles dans l’ouest jusqu’à la baie Carnero pour y trouver l’extrémité du trente-septième degré. Mais les agents de Glenarvan avaient déjà parcouru cette partie du littoral sans rencontrer aucun vestige du naufrage. Une nouvelle exploration devenait donc inutile, et il fut décidé que la ville d’Arauco serait prise pour point de départ. De là, la route devait être tenue vers l’est, suivant une ligne rigoureusement droite.

La petite troupe entra dans la ville pour y passer la nuit, et campa en pleine cour d’une auberge dont le confortable était encore à l’état rudimentaire.

Arauco est la capitale de l’Araucanie, un État long de cent cinquante lieues, large de trente, habité par les Molouches, ces fils aînés de la race chilienne chantés par le poëte Ercilla. Race fière et forte, la seule des deux Amériques qui n’ait jamais subi une domination étrangère. Si Arauco a jadis appartenu aux Espagnols, les populations, du moins, ne se soumirent pas ; elles résistèrent alors comme elles résistent aujourd’hui