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— Cavendish assure qu’ils sont grands et robustes, reprit Paganel. Hawkins en fait des géants. Lemaire et Shouten leur donnent onze pieds de haut.

— Bon, voilà des gens dignes de foi, dit Glenarvan.

— Oui, tout autant que Wood, Narborough et Falkner, qui leur ont trouvé une taille moyenne. Il est vrai que Byron, la Giraudais, Bougainville, Wallis et Carteret affirment que les Patagons ont six pieds six pouces, tandis que M. d’Orbigny, le savant qui connaît le mieux ces contrées, leur attribue une taille moyenne de cinq pieds quatre pouces.

— Mais alors, dit lady Helena, quelle est la vérité au milieu de tant de contradictions ?

— La vérité, Madame, répondit Paganel, la voici ; c’est que les Patagons ont les jambes courtes et le buste développé. On peut donc formuler son opinion d’une manière plaisante, en disant que ces gens-là ont six pieds quand ils sont assis, et cinq seulement quand ils sont debout.

— Bravo ! mon cher savant, répondit Glenarvan. Voilà qui est bien dit !

— À moins, reprit Paganel, qu’ils n’existent pas, ce qui mettrait tout le monde d’accord. Mais pour finir, mes amis, j’ajouterai cette remarque consolante : c’est que le détroit de Magellan est magnifique, même sans Patagons ! »

En ce moment, le Duncan contournait la presqu’île de Brunswick, entre deux panoramas splendides. Soixante-dix milles après avoir doublé le cap Gregory, il laissa sur tribord le pénitencier de Punta Arena. Le pavillon chilien et le clocher de l’église apparurent un instant entre les arbres. Alors le détroit courait entre des masses granitiques d’un effet imposant ; les montagnes cachaient leur pied au sein de forêts immenses, et perdaient dans les nuages leur tête poudrée d’une neige éternelle ; vers le sud-ouest, le mont Tarn se dressait à six mille cinq cents pieds dans les airs ; la nuit vint, précédée d’un long crépuscule ; la lumière se fondit insensiblement en nuances douces ; le ciel se constella d’étoiles brillantes, et la Croix du Sud vint marquer aux yeux des navigateurs la route du pôle austral. Au milieu de cette obscurité lumineuse, à la clarté de ces astres qui remplacent les phares des côtes civilisées, le yacht continua audacieusement sa route sans jeter l’ancre dans ces baies faciles dont le rivage abonde ; souvent l’extrémité de ses vergues frôla les branches des hêtres antarctiques qui se penchaient sur les flots ; souvent aussi son hélice battit les eaux des grandes rivières, en réveillant les oies, les canards, les bécassines, les sarcelles, et tout ce monde emplumé des humides parages. Bientôt des ruines apparurent, et quelques écroulements auxquels la nuit prêtait un aspect grandiose, tristes restes d’une colonie abandonnée, dont le nom