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tions et les surprises ! Mais maintenant cette mine est à peu près épuisée ! On a tout vu, tout reconnu, tout inventé en fait de continents ou de nouveaux mondes, et nous autres, derniers venus dans la science géographique, nous n’avons plus rien à faire !

— Si, mon cher Paganel, répondit Glenarvan.

— Et quoi donc ?

— Ce que nous faisons ! »

Cependant le Duncan filait sur cette route des Vespuce et des Magellan avec une rapidité merveilleuse. Le 15 septembre, il coupa le tropique du Capricorne, et le cap fut dirigé vers l’entrée du célèbre détroit. Plusieurs fois les côtes basses de la Patagonie furent aperçues, mais comme une ligne à peine visible à l’horizon ; on les rangeait à plus de dix milles, et la fameuse longue-vue de Paganel ne lui donna qu’une vague idée de ces rivages américains.

Le 25 septembre, le Duncan se trouvait à la hauteur du détroit de Magellan. Il s’y engagea sans hésiter. Cette voie est généralement préférée par les navires à vapeur qui se rendent dans l’Océan Pacifique. Sa longueur exacte n’est que de trois cent soixante-seize milles[1] ; les bâtiments du plus fort tonnage y trouvent partout une eau profonde, même au ras de ses rivages, un fond d’une excellente tenue, de nombreuses aiguades, des rivières abondantes en poissons, des forêts riches en gibier, en vingt endroits des relâches sûres et faciles, enfin mille ressources qui manquent au détroit de Lemaire et aux terribles rochers du cap Horn, incessamment visités par les ouragans et les tempêtes.

Pendant les premières heures de navigation, c’est-à-dire sur un espace de soixante à quatre-vingts milles, jusqu’au cap Gregory, les côtes sont basses et sablonneuses. Jacques Paganel ne voulait perdre ni un point de vue, ni un détail du détroit. La traversée devait durer trente-six heures à peine, et ce panorama mouvant des deux rives valait bien la peine que le savant s’imposa de l’admirer sous les splendides clartés du soleil austral. Nul habitant ne se montra sur les terres du Nord ; quelques misérables Fuegiens seulement erraient sur les rocs décharnés de la Terre de Feu.

Paganel eut donc à regretter de ne pas voir de Patagons, ce qui le fâcha fort, au grand amusement de ses compagnons de route.

« Une Patagonie sans Patagons, disait-il, ce n’est plus une Patagonie.

— Patience, mon digne géographe, répondit Glenarvan, nous verrons des Patagons.

  1. 130 lieues.