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du capitaine grant.

— Parfaitement.

— Maintenant, écoutez mes dernières paroles, Ayrton. Ici, vous serez éloigné de toute terre, et sans communication possible avec vos semblables. Les miracles sont rares, et vous ne pourrez fuir cet îlot où le Duncan vous laisse. Vous serez seul, sous l’œil d’un Dieu qui lit au plus profond des cœurs, mais vous ne serez ni perdu ni ignoré, comme fut le capitaine Grant. Si indigne que vous soyez du souvenir des hommes, les hommes se souviendront de vous. Je sais où vous êtes, Ayrton, je sais où vous trouver, je ne l’oublierai jamais.

— Dieu conserve Votre Honneur ! » répondit simplement Ayrton.

Telles furent les dernières paroles échangées entre Glenarvan et le quartier-maître. Le canot était prêt. Ayrton y descendit.

John Mangles avait d’avance fait transporter dans l’île quelques caisses d’aliments conservés, des outils, des armes et un approvisionnement de poudre et de plomb. Le quartier-maître pouvait donc se régénérer par le travail ; rien ne lui manquait, pas même des livres, et entre autres la Bible, si chère aux cœurs anglais.

L’heure de la séparation était venue. L’équipage et les passagers se tenaient sur le pont. Plus d’un se sentait l’âme serrée. Mary Grant et lady Helena ne pouvaient contenir leur émotion.

« Il le faut donc ? demanda la jeune femme à son mari, il faut donc que ce malheureux soit abandonné !

— Il le faut, Helena, répondit lord Glenarvan. C’est l’expiation ! »

En ce moment, le canot, commandé par John Mangles, déborda. Ayrton, debout, toujours impassible, ôta son chapeau et salua gravement.

Glenarvan se découvrit, avec lui tout l’équipage, comme on fait devant un homme qui va mourir, et l’embarcation s’éloigna au milieu d’un profond silence.

Ayrton, arrivé à terre, sauta sur le sable, et le canot revint à bord. Il était alors quatre heures du soir, et du haut de la dunette, les passagers purent voir le quartier-maître, les bras croisés, immobile comme une statue sur un roc, et regardant le navire.

« Nous partons, mylord ? demanda John Mangles.

— Oui, John, répondit vivement Glenarvan, plus ému qu’il ne voulait le paraître.

— Go head ! » cria John à l’ingénieur.

La vapeur siffla dans ses conduits, l’hélice battit les flots, et, à huit heures, les derniers sommets de l’île Tabor disparaissaient dans les ombres de la nuit.