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du capitaine grant.

mettre de l’accomplir. Il faut que nos pauvres frères de la vieille Calédonie, tous ceux qui souffrent, aient un refuge contre la misère sur une terre nouvelle ! Il faut que notre chère patrie possède dans ces mers une colonie à elle, rien qu’à elle, où elle trouve un peu de cette indépendance et de ce bien-être qui lui manquent en Europe !

— Ah ! cela est bien dit, capitaine Grant, répondit lady Helena. C’est un beau projet, et digne d’un grand cœur ! Mais cet îlot ?...

— Non, madame, c’est un roc bon tout au plus à nourrir quelques colons, tandis qu’il nous faut une terre vaste et riche de tous les trésors des premiers âges.

— Eh bien, capitaine, s’écria Glenarvan, l’avenir est à nous, et cette terre, nous la chercherons ensemble ! »

Les mains d’Harry Grant et de Glenarvan se serrèrent dans une chaude étreinte, comme pour ratifier cette promesse.

Puis, sur cette île même, dans cette humble maison, chacun voulut connaître l’histoire des naufragés du Britannia pendant ces deux longues années d’abandon.

Harry Grant s’empressa de satisfaire le désir de ses nouveaux amis :

« Mon histoire, dit-il, est celle de tous les Robinsons jetés sur une île, et qui, ne pouvant compter que sur Dieu et sur eux-mêmes, sentent qu’ils ont le devoir de disputer leur vie aux éléments !

« Ce fut pendant la nuit du 26 au 27 juin 1862 que le Britannia, désemparé par six jours de tempête, vint se briser sur les rochers de Maria-Thérésa. La mer était démontée, le sauvetage impossible, et tout mon malheureux équipage périt. Seuls, mes deux matelots, Bob Learce, Joe Bell et moi, nous parvînmes à gagner la côte après vingt tentatives infructueuses !

« La terre qui nous recueillit n’était qu’un îlot désert, large de deux milles, long de cinq, avec une trentaine d’arbres à l’intérieur, quelques prairies et une source d’eau fraîche qui fort heureusement ne tarit jamais. Seul avec mes deux matelots, dans ce coin du monde, je ne désespérai pas. Je mis ma confiance en Dieu, et je m’apprêtai à lutter résolument. Bob et Joe, mes braves compagnons d’infortune, mes amis, me secondèrent énergiquement.

« Nous commençâmes, comme le Robinson idéal de Daniel de Foë, notre modèle, par recueillir les épaves du navire, des outils, un peu de poudre, des armes, un sac de graines précieuses. Les premiers jours furent pénibles, mais bientôt la chasse et la pêche nous fournirent une nourriture assurée, car les chèvres sauvages pullulaient à l’intérieur de l’île, et les animaux marins abondaient sur ses côtes. Peu à peu, notre existence s’organisa régulièrement.