Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/620

Cette page a été validée par deux contributeurs.
612
les enfants

Une embarcation fut armée, et le père, les deux enfants, lord et lady Glenarvan, le major, John Mangles et Paganel, débarquèrent bientôt sur les rivages de l’île.

Quelques heures suffirent à parcourir le domaine d’Harry Grant. C’était à vrai dire, le sommet d’une montagne sous-marine, un plateau où les roches de basalte abondaient avec des débris volcaniques. Aux époques géologiques de la terre, ce mont avait peu à peu surgi des profondeurs du Pacifique sous l’action des feux souterrains ; mais, depuis des siècles, le volcan était devenu une montagne paisible, et son cratère comblé, un îlot émergeant de la plaine liquide. Puis l’humus se forma ; le règne végétal s’empara de cette terre nouvelle ; quelques baleiniers de passage y débarquèrent des animaux domestiques, chèvres et porcs, qui multiplièrent à l’état sauvage, et la nature se manifesta par ses trois règnes sur cette île perdue au milieu de l’Océan.

Lorsque les naufragés du Britannia s’y furent réfugiés, la main de l’homme vint régulariser les efforts de la nature. En deux ans et demi, Harry Grant et ses matelots métamorphosèrent leur îlot. Plusieurs acres de terre, cultivés avec soin, produisaient des légumes d’une excellente qualité.

Les visiteurs arrivèrent à la maison ombragée par des gommiers verdoyants ; devant ses fenêtres s’étendait la magnifique mer, étincelant aux rayons du soleil. Harry Grant fit mettre sa table à l’ombre des beaux arbres, et chacun y prit place. Un gigot de chevreau, du pain de nardou, quelques bols de lait, deux ou trois pieds de chicorée sauvage, une eau pure et fraîche formèrent les éléments de ce repas simple et digne de bergers de l’Arcadie.

Paganel était ravi. Ses vieilles idées de Robinson lui remontaient au cerveau.

« Il ne sera pas à plaindre, ce coquin d’Ayrton ! s’écria-t-il dans son enthousiasme. C’est un paradis que cet îlot.

— Oui, répondit Harry Grant, un paradis pour trois pauvres naufragés que le ciel y garde ! Mais je regrette que Maria-Thérésa n’ait pas été une île vaste et fertile, avec une rivière au lieu d’un ruisseau et un port au lieu d’une anse battue par les flots du large.

— Et pourquoi, capitaine ? demanda Glenarvan.

— Parce que j’y aurais jeté les fondements de la colonie dont je veux doter l’Écosse dans le Pacifique.

— Ah ! capitaine Grant, dit Glenarvan, vous n’avez donc point abandonné l’idée qui vous a rendu si populaire dans notre vieille patrie ?

— Non, mylord, et Dieu ne m’a sauvé par vos mains que pour me per-