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les enfants

— Quelques-uns, mon enfant, tels que le docteur Hooker, le professeur Brizard, les naturalistes Dieffenbach et Julius Haast ; mais, quoique plusieurs d’entre eux aient payé de la vie leur aventureuse passion, ils sont moins célèbres que les voyageurs australiens ou africains.

— Et vous connaissez leur histoire ? demanda le jeune Grant.

— Parbleu, mon garçon, et comme je vois que tu grilles d’en savoir autant que moi, je vais te la dire.

— Merci, monsieur Paganel, je vous écoute.

— Et nous aussi, nous vous écoutons, dit lady Helena. Ce n’est pas la première fois que le mauvais temps nous aura forcés de nous instruire. Parlez pour tout le monde, monsieur Paganel.

— À vos ordres, madame, répondit le géographe, mais mon récit ne sera pas long. Il ne s’agit point ici de ces hardis découvreurs qui luttaient corps à corps avec le minotaure australien. La Nouvelle-Zélande est un pays trop peu étendu pour se défendre contre les investigations de l’homme. Aussi mes héros n’ont-ils point été des voyageurs, à proprement parler, mais de simples touristes, victimes des plus prosaïques accidents.

— Et vous les nommez ?… demanda Mary Grant.

— Le géomètre Witcombe, et Charlton Howitt, celui-là même qui a retrouvé les restes de Burke, dans cette mémorable expédition que je vous ai racontée pendant notre halte aux bords de la Wimerra. Witcombe et Howitt commandaient chacun deux explorations dans l’île de Tawaï-Pounamou. Tous deux partirent de Christchurch, dans les premiers mois de 1863, pour découvrir des passages différents à travers les montagnes du nord de la province de Canterbury. Howitt, franchissant la chaîne sur la limite septentrionale de la province, vint établir son quartier-général sur le lac Brunner, Witcombe, au contraire, trouva dans la vallée du Rakaia un passage qui aboutissait à l’est du mont Tyndall. Witcombe avait un compagnon de route, Jacob Louper, qui a publié dans le Lyttleton-Times le récit du voyage et de la catastrophe. Autant qu’il m’en souvient, le 22 avril 1863, les deux explorateurs se trouvaient au pied d’un glacier où le Rakaia prend sa source. Ils montèrent jusqu’au sommet du mont et s’engagèrent à la recherche de nouveaux passages. Le lendemain, Witcombe et Louper, épuisés de fatigue et de froid, campaient par une neige épaisse à quatre mille pieds au-dessus du niveau de la mer. Pendant sept jours, ils errèrent dans les montagnes, au fond de vallées dont les parois à pic ne livraient aucune issue, souvent sans feu, parfois sans nourriture, leur sucre changé en sirop, leur biscuit réduit à une pâte humide, leurs habits et leurs couvertures ruisselants de pluie, dévorés par des insectes, faisant de grandes journées de trois milles et de petites journées pendant lesquelles ils gagnaient