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du capitaine grant.

enlevé par Surville, deux ans avant l’arrivée du capitaine Marion.

Dans un pays où l’honneur impose à tout Maori d’obtenir par le sang satisfaction des outrages subis, Takouri ne pouvait oublier l’injure faite à sa tribu. Il attendit patiemment l’arrivée d’un navire européen, médita sa vengeance et l’accomplit avec un atroce sang-froid.

Après avoir simulé des craintes à l’égard des Français, Takouri n’oublia rien pour les endormir dans une trompeuse sécurité. Ses camarades et lui passèrent souvent la nuit à bord des vaisseaux. Ils apportaient des poissons choisis. Leurs filles et leurs femmes les accompagnaient. Ils apprirent bientôt à connaître les noms des officiers et ils les invitèrent à visiter leurs villages. Marion et Crozet, séduits par de telles avances, parcoururent ainsi toute cette côte peuplée de quatre mille habitants. Les naturels accouraient au-devant d’eux sans armes et cherchaient à leur inspirer une confiance absolue.

Le capitaine Marion, en relâchant à la Baie des Îles, avait l’intention de changer la mâture du Castries, fort endommagée par les dernières tempêtes. Il explora donc l’intérieur des terres, et, le 23 mai, il trouva une forêt de cèdres magnifiques à deux lieues du rivage, et à portée d’une baie située à une lieue des navires.

Là, un établissement fut formé, où les deux tiers des équipages, munis de haches et autres outils, travaillèrent à abattre les arbres et à refaire les chemins qui conduisaient à la baie. Deux autres postes furent choisis, l’un dans la petite île de Motou-Aro, au milieu du port, où l’on transporta les malades de l’expédition, les forgerons et les tonneliers des bâtiments, l’autre sur la grande terre, au bord de l’océan, à une lieue et demie des vaisseaux ; ce dernier communiquait avec le campement des charpentiers. Sur tous ces postes, des sauvages vigoureux et prévenants aidaient les marins dans leurs divers travaux.

Cependant le capitaine Marion ne s’était pas abstenu jusque-là de certaines mesures de prudence. Les sauvages ne montaient jamais en armes à son bord, et les chaloupes n’allaient à terre que bien armées. Mais Marion et les plus défiants de ses officiers furent aveuglés par les manières des indigènes et le commandant ordonna de désarmer les canots. Toutefois, le capitaine Crozet voulut persuader à Marion de rétracter cet ordre. Il n’y réussit pas.

Alors, les attentions et le dévouement des Néo-Zélandais redoublèrent. Leurs chefs et les officiers vivaient sur le pied d’une intimité parfaite. Maintes fois, Takouri amena son fils à bord, et le laissa coucher dans les cabines. Le 8 juin, Marion, pendant une visite solennelle qu’il fit à terre,