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à la rive. John Mangles avait installé sur le tribord et confié à Wilson une sorte d’aviron pour soutenir l’appareil contre le courant et diminuer sa dérive. Quant à lui, debout à l’arrière, il comptait se diriger au moyen d’une grossière godille. Lady Helena et Mary Grant occupaient le centre du radeau, près de Mulrady ; Glenarvan, le major, Paganel et Robert les entouraient, prêts à leur porter secours.

« Sommes-nous parés, Wilson ? demanda John Mangles à son matelot.

— Oui, capitaine, répondit Wilson, en saisissant son aviron d’une main robuste.

— Attention, et soutiens-nous contre le courant. »

John Mangles démarra le radeau, et d’une poussée il le lança à travers les eaux de la Snowy. Tout alla bien pendant une quinzaine de toises. Wilson résistait à la dérive. Mais bientôt l’appareil fut pris dans des remous, et tourna sur lui-même sans que ni l’aviron ni la godille ne pussent le maintenir en droite ligne. Malgré leurs efforts, Wilson et John Mangles se trouvèrent bientôt placés dans une position inverse, qui rendit impossible l’action des rames.

Il fallut se résigner. Aucun moyen n’existait d’enrayer ce mouvement giratoire du radeau. Il tournait avec une vertigineuse rapidité, et il dérivait. John Mangles, debout, la figure pâle, les dents serrées, regardait l’eau qui tourbillonnait.

Cependant, le radeau s’engagea au milieu de la Snowy. Il se trouvait alors à un demi-mille en aval de son point de départ. Là, le courant avait une force extrême, et, comme il rompait les remous, il rendit à l’appareil un peu de stabilité.

John et Wilson reprirent leurs avirons et parvinrent à se pousser dans une direction oblique. Leur manœuvre eut pour résultat de les rapprocher de la rive gauche. Ils n’en étaient plus qu’à cinquante toises, quand l’aviron de Wilson cassa net. Le radeau, non soutenu, fut entraîné. John voulut résister, au risque de rompre sa godille. Wilson, les mains ensanglantées, joignit ses efforts aux siens.

Enfin, ils réussirent, et le radeau, après une traversée qui dura plus d’une demi-heure, vint heurter le talus à pic de la rive. Le choc fut violent ; les troncs se disjoignirent, les cordes cassèrent, l’eau pénétra en bouillonnant. Les voyageurs n’eurent que le temps de s’accrocher aux buissons qui surplombaient. Ils tirèrent à eux Mulrady et les deux femmes à demi trempées. Bref, tout le monde fut sauvé, mais la plus grande partie des provisions embarquées et les armes, excepté la carabine du major, s’en allèrent à la dérive avec les débris du radeau.

La rivière était franchie. La petite troupe se trouvait à peu près sans