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des inflexions câlines d’une grande douceur ; le mot « noki, noki », se répétait souvent, et les gestes le faisaient suffisamment comprendre. C’était le « donnez-moi ! donnez-moi ! » qui s’appliquait aux plus menus objets des voyageurs. Mr. Olbinett eut fort à faire pour défendre le compartiment aux bagages et surtout les vivres de l’expédition. Ces pauvres affamés jetaient sur le chariot un regard effrayant et montraient des dents aiguës qui s’étaient peut-être exercées sur des lambeaux de chair humaine. La plupart des tribus australiennes ne sont pas anthropophages, sans doute, en temps de paix, mais il est peu de sauvages qui se refusent à dévorer la chair d’un ennemi vaincu.

Cependant, à la demande d’Helena, Glenarvan donna ordre de distribuer quelques aliments. Les naturels comprirent son intention et se livrèrent à des démonstrations qui eussent ému le cœur le plus insensible. Ils poussèrent aussi des rugissements semblables à ceux des bêtes fauves, quand le gardien leur apporte la pitance quotidienne. Sans donner raison au major, on ne pouvait nier pourtant que cette race ne touchât de près à l’animal.

Mr. Olbinett, en homme galant, avait cru devoir servir d’abord les femmes. Mais ces malheureuses créatures n’osèrent manger avant leurs redoutables maîtres. Ceux-ci se jetèrent sur le biscuit et la viande sèche comme sur une proie.

Mary Grant, songeant que son père était prisonnier d’indigènes aussi grossiers, sentit les larmes lui venir aux yeux. Elle se représentait tout ce que devait souffrir un homme tel qu’Harry Grant, esclave de ces tribus errantes, en proie à la misère, à la faim, aux mauvais traitements. John Mangles, qui l’observait avec la plus inquiète attention, devina les pensées dont son cœur était plein, et il alla au-devant de ses désirs en interrogeant le quartier-maître du Britannia.

« Ayrton, lui dit-il, est-ce des mains de pareils sauvages que vous vous êtes échappé ?

— Oui, capitaine, répondit Ayrton. Toutes ces peuplades de l’intérieur se ressemblent. Seulement, vous ne voyez ici qu’une poignée de ces pauvres diables, tandis qu’il existe sur les bords du Darling des tribus nombreuses et commandées par des chefs dont l’autorité est redoutable.

— Mais, demanda John Mangles, que peut faire un Européen au milieu de ces naturels ?

— Ce que je faisais moi-même, répondit Ayrton ; il chasse, il pêche avec eux, il prend part à leurs combats ; comme je vous l’ai déjà dit, il est traité en raison des services qu’il rend, et pour peu que ce soit un homme intelligent et brave, il prend dans la tribu une situation considérable.