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Les débuts d’un voyage sont toujours marqués par l’entrain des cavaliers et des chevaux. À l’animation des premiers, rien à dire, mais il parut convenable de modérer l’allure des seconds. Qui veut aller loin doit ménager sa monture. Il fut donc décidé que chaque journée ne comporterait pas plus de vingt-cinq à trente milles en moyenne.

D’ailleurs, le pas des chevaux devait se régler sur le pas plus lent des bœufs, véritables engins mécaniques qui perdent en temps ce qu’ils gagnent en force. Le chariot, avec ses passagers, ses approvisionnements, c’était le noyau de la caravane, la forteresse ambulante. Les cavaliers pouvaient battre l’estrade sur ses flancs, mais ils ne devaient jamais s’en éloigner.

Ainsi donc, aucun ordre de marche n’étant spécialement adopté, chacun fut libre de faire à sa guise dans une certaine limite, les chasseurs de courir la plaine, les gens aimables de converser avec les habitantes du chariot, les philosophes de philosopher ensemble. Paganel, qui possédait toutes ces qualités diverses, devait être et fut partout à la fois.

La traversée de la province d’Adélaïde n’offrit rien d’intéressant. Une suite de coteaux peu élevés, mais riches en poussière, une longue étendue de terrains vagues dont l’ensemble constitue ce qu’on appelle le « bush » dans le pays, quelques prairies, couvertes par touffes d’un arbuste salé aux feuilles anguleuses dont la gent ovine se montre fort friande, se succédèrent pendant plusieurs milles. Çà et là se voyaient quelques « pig’s-faces, » moutons à tête de porc d’une espèce particulière à la Nouvelle-Hollande, qui paissaient entre les poteaux de la ligne télégraphique récemment établie d’Adélaïde à la côte.

Jusqu’alors ces plaines rappelaient singulièrement les monotones étendues de la Pampasie argentine. Même sol herbeux et uni. Même horizon nettement tranché sur le ciel. Mac Nabbs soutenait que l’on n’avait pas changé de pays ; mais Paganel affirma que la contrée se modifierait bientôt. Sur sa garantie, on s’attendit à de merveilleuses choses.

Vers trois heures, le chariot traversa un large espace dépourvu d’arbres, connu sous le nom de « mosquitos plains. » Le savant eut la satisfaction géographique de constater qu’il méritait son nom. Les voyageurs et leurs montures souffrirent beaucoup des morsures réitérées de ces importuns diptères ; les éviter était impossible ; les calmer fut plus facile, grâce aux flacons d’ammoniaque de la pharmacie portative. Paganel ne put s’empêcher de donner à tous les diables ces moustiques acharnés qui lardèrent sa longue personne de leurs agaçantes piqûres.

Vers le soir, quelques haies vives d’acacias égayèrent la plaine ; çà et là, des bouquets de gommiers blancs ; plus loin, une ornière fraîchement creu-