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nement, et tout le pont était balayé de l’arrière à l’avant avec une irrésistible violence.

Ce fut dans cette alarmante situation, au milieu d’alternatives d’espoir et de désespoir, que se passèrent la journée du 15 décembre et la nuit qui suivit. John Mangles ne quitta pas un instant son poste ; il ne prit aucune nourriture ; il était torturé par des craintes que son impassible figure ne voulait pas trahir, et son regard cherchait obstinément à percer les brumes amoncelées dans le nord.

En effet, il pouvait tout craindre. Le Duncan, rejeté hors de sa route, courait à la côte australienne avec une vitesse que rien ne pouvait enrayer. John Mangles sentait aussi par instinct, non autrement, qu’un courant de foudre l’entraînait. À chaque instant, il redoutait le choc d’un écueil sur lequel le yacht se fût brisé en mille pièces. Il estimait que la côte ne devait pas se rencontrer à moins de douze milles sous le vent. Or, la terre c’est le naufrage, c’est la perte d’un bâtiment. Cent fois mieux vaut l’immense Océan, contre les fureurs duquel un navire peut se défendre, fût-ce en lui cédant. Mais lorsque la tempête le jette sur des atterrages, il est perdu.

John Mangles alla trouver lord Glenarvan ; il l’entretint en particulier ; il lui dépeignit la situation sans diminuer sa gravité ; il l’envisagea avec le sang-froid d’un marin prêt à tout, et termina en disant qu’il serait peut-être obligé de jeter le Duncan à la côte.

« Pour sauver ceux qu’il porte, si c’est possible, mylord.

— Faites, John, répondit Glenarvan.

— Et lady Helena ? miss Grant ?

— Je ne les préviendrai qu’au dernier moment, lorsque tout espoir sera perdu de tenir la mer. Vous m’avertirez.

— Je vous avertirai, mylord. »

Glenarvan revint auprès des passagères, qui, sans connaître tout le danger, le sentaient imminent. Elles montraient un grand courage, égal au moins à celui de leurs compagnons. Paganel se livrait aux théories les plus inopportunes sur la direction des courants atmosphériques ; il faisait à Robert, qui l’écoutait, d’intéressantes comparaisons entre les tornades, les cyclones et les tempêtes rectilignes. Quant au major, il attendait la fin avec le fatalisme d’un musulman.

Vers onze heures, l’ouragan parut mollir un peu ; les humides brumes se dissipèrent, et, dans une rapide éclaircie, John put voir une terre basse qui lui restait à six milles sous le vent. Il y courait en plein. Des lames monstrueuses déferlaient à une prodigieuse hauteur, jusqu’à cinquante pieds et plus. John comprit qu’elles trouvaient là un point d’appui solide pour rebondir à une telle élévation.