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le bruit sec des voiles parfois prises en ralingues, le gémissement des cloisons intérieures, apprirent aux passagers ce qu’ils ignoraient encore. Paganel, Glenarvan, le major, Robert, apparurent sur le pont, les uns en curieux, les autres prêts à agir. Dans ce ciel qu’ils avaient laissé limpide et constellé roulaient des nuages épais, séparés par des bandes tachetées comme une peau de léopard.

« L’ouragan ? demanda simplement Glenarvan à John Mangles.

— Pas encore, mais bientôt, » répondit le capitaine.

En ce moment, il donna l’ordre de prendre le bas ris du hunier. Les matelots s’élancèrent dans les enfléchures du vent, et, non sans peine, ils diminuèrent la surface de la voile en l’enroulant de ses garcettes sur la vergue amenée. John Mangles tenait à conserver le plus de toile possible, afin d’appuyer le yacht et d’adoucir ses mouvements de roulis.

Puis, ces précautions prises, il donna des ordres à Austin et au maître d’équipage, pour parer à l’assaut de l’ouragan, qui ne pouvait tarder à se déchaîner. Les saisines des embarcations et les amarres de la drome furent doublées. On renforça les palans de côté du canon. On roidit les haubans et galhaubans. Les écoutilles furent condamnées. John, comme un officier sur le couronnement d’une brèche, ne quittait pas le bord du vent, et du haut de la dunette il essayait d’arracher ses secrets à ce ciel orageux.

En ce moment, le baromètre était tombé à vingt-six pouces, abaissement qui se produit rarement dans la colonne barométrique, et le storm-glass[1] indiquait la tempête.

Il était une heure du matin. Lady Helena et miss Grant, violemment secouées dans leur cabine, se hasardèrent à venir sur le pont. Le vent avait alors une vitesse de quatorze toises par seconde. Il sifflait dans les manœuvres dormantes avec une extrême violence. Ces cordes de métal, pareilles à celles d’un instrument, résonnaient comme si quelque gigantesque archet eût provoqué leurs rapides oscillations ; les poulies se choquaient ; les manœuvres couraient avec un bruit aigu dans leurs gorges rugueuses ; les voiles détonaient comme des pièces d’artillerie ; des vagues déjà monstrueuses accouraient à l’assaut du yacht, qui se jouait comme un alcyon sur leur crête écumante.

Lorsque le capitaine John aperçut les passagères, il alla rapidement à elles, et les pria de rentrer dans la dunette ; quelques paquets de mer embarquaient déjà, et le pont pouvait être balayé d’un instant à l’autre. Le

  1. Verres contenant un mélange chimique qui change d’aspect suivant la direction du vent et selon la tension électrique de l’atmosphère. Les meilleurs sont fabriqués par MM. Negretti et Zambra, opticiens de la marine britannique.