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« L’eau nous gagne, pensait-il.

— Anda, anda ! » criait Thalcave.

Et l’on pressait encore les malheureuses bêtes. De leur flanc labouré par l’éperon s’échappait un sang vif qui traçait sur l’eau de longs filets rouges. Ils trébuchaient dans les crevasses du sol. Ils s’embarrassaient dans les herbes cachées. Ils s’abattaient. On les relevait. Ils s’abattaient encore. On les relevait toujours. Le niveau des eaux montait sensiblement. De longues ondulations annonçaient l’assaut de cette barre qui agitait à moins de deux milles sa tête écumante.

Pendant un quart d’heure se prolongea cette lutte suprême contre le plus terrible des éléments. Les fugitifs n’avaient pu se rendre compte de la distance qu’ils venaient de parcourir, mais, à en juger par la rapidité de leur course, elle devait être considérable. Cependant les chevaux, noyés jusqu’au poitrail, n’avançaient plus qu’avec une extrême difficulté. Glenarvan, Paganel, Austin, tous se crurent perdus et voués à cette mort horrible des malheureux abandonnés en mer. Leurs montures commençaient à perdre le sol de la plaine, et six pieds d’eau suffisaient à les noyer.

Il faut renoncer à peindre les poignantes angoisses de ces huit hommes envahis par une marée montante. Ils sentaient leur impuissance à lutter contre ces cataclysmes de la nature, supérieurs aux forces humaines. Leur salut n’était plus dans leurs mains.

Cinq minutes après, les chevaux étaient à la nage ; le courant seul les entraînait avec une incomparable violence et une vitesse égale à celle de leur galop le plus rapide, qui devait dépasser vingt milles à l’heure.

Tout salut semblait impossible, quand la voix du major se fit entendre.

« Un arbre, dit-il.

— Un arbre ? s’écria Glenarvan.

— Là, là ! » répondit Thalcave.

Et, du doigt, il montra à huit cents brasses dans le nord une espèce de noyer gigantesque qui s’élevait solitairement du milieu des eaux.

Ses compagnons n’avaient pas besoin d’être excités. Cet arbre qui s’offrait si inopinément à eux, il fallait le gagner à tout prix. Les chevaux ne l’atteindraient pas sans doute, mais les hommes, du moins, pouvaient être sauvés. Le courant les portait.

En ce moment, le cheval de Tom Austin fit entendre un hennissement étouffé et disparut. Son maître, dégagé de ses étriers se mit à nager vigoureusement.

« Accroche-toi à ma selle, lui cria Glenarvan.

— Merci, Votre Honneur, répondit Tom Austin, les bras sont solides.