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comme un toit dont les gouttières sont engorgées ; la frange des recados semblait faite de filets liquides, et les cavaliers, éclaboussés par leurs montures dont le sabot frappait à chaque pas les torrents du sol, chevauchaient dans une double averse qui venait à la fois de la terre et du ciel.

Ce fut ainsi que trempés, transis et brisés de fatigue, ils arrivèrent le soir à un rancho fort misérable. Des gens peu difficiles pouvaient seuls lui donner le nom d’abri, et des voyageurs aux abois consentir à s’y abriter. Mais Glenarvan et ses compagnons n’avaient pas le choix. Ils se blottirent donc dans cette cahute abandonnée, dont n’aurait pas voulu un pauvre Indien des Pampas. Un mauvais feu d’herbes qui donnait plus de fumée que de chaleur fut allumé, non sans peine. Les rafales de pluie faisaient rage au dehors, et à travers le chaume pourri suintaient de larges gouttes. Si le foyer ne s’éteignit pas vingt fois, c’est que vingt fois Mulrady et Wilson luttèrent contre l’envahissement de l’eau.

Le souper, très-médiocre et peu réconfortant, fut assez triste. L’appétit manquait. Seul le major fit honneur au charqui humide et ne perdit pas un coup de dent. L’impassible Mac Nabbs était supérieur aux événements. Quant à Paganel, en sa qualité de Français, il essaya de plaisanter. Mais cela ne prit pas.

« Mes plaisanteries sont mouillées, dit-il, elles ratent ! »

Cependant, comme ce qu’il y avait de plus plaisant dans cette circonstance était de dormir, chacun chercha dans le sommeil un oubli momentané de ses fatigues. La nuit fut mauvaise ; les ais du rancho craquaient à se rompre ; il s’inclinait sous les poussées du vent et menaçait de s’en aller à chaque rafale ; les malheureux chevaux gémissaient au dehors, exposés à toute l’inclémence du ciel, et leurs maîtres ne souffraient pas moins dans leur méchante cahute. Cependant le sommeil finit par l’emporter. Robert le premier, fermant les yeux, laissa reposer sa tête sur l’épaule de lord Glenarvan, et bientôt tous les hôtes du rancho dormaient sous la garde de Dieu.

Il paraît que Dieu fit bonne garde, car la nuit s’acheva sans accident. On se réveilla à l’appel de Thaouka, qui, toujours veillant, hennissait au dehors et frappait d’un sabot vigoureux le mur de la cahute. À défaut de Thalcave, il savait au besoin donner le signal du départ. On lui devait trop pour ne pas lui obéir, et l’on partit.

La pluie avait diminué, mais le terrain étanche conservait l’eau versée ; sur son imperméable argile les flaques, les marais, les étangs débordaient et formaient d’immenses « banados » d’une perfide profondeur. Paganel, consultant sa carte, pensa, non sans raison, que les rios Grande et Viva-