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Mais revenir à bord sans le capitaine Grant, après avoir si complètement échoué dans ses recherches, il ne pouvait se faire à cette idée. Aussi, le lendemain, ne songea-t-il pas à donner ses ordres pour le départ. Ce fut le major qui prit sur lui de faire seller les chevaux, de renouveler les provisions, et d’établir les relèvements de route. Grâce à son activité, la petite troupe, à huit heures du matin, descendait les croupes gazonnées de la sierra Tandil.

Glenarvan, Robert à ses côtés, galopait sans mot dire ; son caractère audacieux et résolu ne lui permettait pas d’accepter cet insuccès d’une âme tranquille ; son cœur battait à se rompre, et sa tête était en feu. Paganel, agacé par la difficulté, retournait de toutes les façons les mots du document pour en tirer un enseignement nouveau. Thalcave, muet, laissait à Thaouka le soin de le conduire. Le major, toujours confiant, demeurait solide au poste, comme un homme sur lequel le découragement ne saurait avoir de prise. Tom Austin et ses deux matelots partageaient l’ennui de leur maître. À un moment où un timide lapin traversa devant eux les sentiers de la sierra, les superstitieux Écossais se regardèrent.

« Un mauvais présage, dit Wilson.

— Oui, dans les Highlands, répondit Mulrady.

— Ce qui est mauvais dans les Highlands n’est pas meilleur ici, » répliqua sentencieusement Wilson.

Vers midi, les voyageurs avaient franchi la sierra Tandil et retrouvaient les plaines largement ondulées qui s’étendent jusqu’à la mer. À chaque pas, des rios limpides arrosaient cette fertile contrée et allaient se perdre au milieu de hauts pâturages. Le sol reprenait son horizontalité normale, comme l’Océan après une tempête. Les dernières montagnes de la Pampasie argentine étaient passées, et la prairie monotone offrait au pas des chevaux son long tapis de verdure.

Le temps jusqu’alors avait été beau. Mais le ciel, ce jour-là, prit un aspect peu rassurant. Les masses de vapeurs, engendrées par la haute température des journées précédentes et disposées par nuages épais, promettaient de se résoudre en pluies torrentielles. D’ailleurs, le voisinage de l’Atlantique et le vent d’ouest qui y règne en maître rendaient le climat de cette contrée particulièrement humide. On le voyait bien à sa fertilité, à la grasse abondance de ses pâturages et à leur sombre verdeur. Cependant, ce jour-là du moins, les larges nues ne crevèrent pas, et, le soir, les chevaux, après avoir allègrement fourni une traite de quarante milles, s’arrêtèrent au bord de profondes « canadas, » immenses fossés naturels remplis d’eau. Tout abri manquait. Les ponchos servirent à la fois de