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ossements d’un innombrable troupeau de bœufs, amoncelés et blanchis. Ces débris ne s’allongeaient pas en ligne sinueuse, telle que la laissent après eux des animaux à bout de forces et tombant peu à peu sur la route. Aussi, personne ne savait comment expliquer cette réunion de squelettes dans un espace relativement restreint, et Paganel, quoi qu’il fît, pas plus que les autres. Il interrogea donc Thalcave, qui ne fut point embarrassé de lui répondre.

Un « pas possible ! » du savant et un signe très-affirmatif du Patagon intriguèrent fort leurs compagnons.

« Qu’est-ce donc ? demandèrent-ils.

— Le feu du ciel, répondit le géographe.

— Quoi ! la foudre aurait produit un tel désastre ! dit Tom Austin ; un troupeau de cinq cents têtes étendu sur le sol !

— Thalcave l’affirme, et Thalcave ne se trompe pas. Je le crois, d’ailleurs, car les orages des Pampas se signalent, entre tous, par leurs fureurs. Puissions-nous ne pas les éprouver un jour !

— Il fait bien chaud, dit Wilson.

— Le thermomètre, répondit Paganel, doit marquer trente degrés à l’ombre.

— Cela ne m’étonne pas, dit Glenarvan, je sens l’électricité qui me pénètre. Espérons que cette température ne se maintiendra pas.

— Oh ! oh ! fit Paganel, il ne faut pas compter sur un changement de temps, puisque l’horizon est libre de toute brume.

— Tant pis, répondit Glenarvan, car nos chevaux sont très-affectés par la chaleur. Tu n’as pas trop chaud, mon garçon ? ajouta-t-il en s’adressant à Robert.

— Non, mylord, répondit le petit bonhomme. J’aime la chaleur, c’est une bonne chose.

— L’hiver surtout, » fit observer judicieusement le major, en lançant vers le ciel la fumée de son cigare.

Le soir, on s’arrêta près d’un « rancho » abandonné, un entrelacement de branchages mastiqués de boue et recouverts de chaume ; cette cabane attenait à une enceinte de pieux à demi pourris, qui suffit, cependant, à protéger les chevaux pendant la nuit contre les attaques des renards. Non qu’ils eussent rien à redouter personnellement de la part de ces animaux, mais les malignes bêtes rongent leurs licous, et les chevaux en profitent pour s’échapper.

À quelques pas du rancho était creusé un trou qui servait de cuisine et contenait des cendres refroidies. À l’intérieur, il y avait un banc, un grabat de cuir de bœuf, une marmite, une broche et une bouilloire à maté. Le