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LES 500 MILLIONS DE LA BÉGUM

De l’air le plus naturel du monde, Herr Schultze reporta son mooss de bière à sa bouche, toucha un timbre, se fit donner une autre pipe pour remplacer celle qu’il avait cassée, et s’adressant au valet de pied :

« Arminius et Sigimer sont-ils là ? demanda-t-il.

— Oui, monsieur.

— Dites-leur de se tenir à portée de ma voix. »

Lorsque le domestique eut quitté la salle à manger, le Roi de l’Acier, se tournant vers Marcel, le regarda bien en face.

Celui-ci ne baissa pas les yeux devant ce regard qui avait pris une dureté métallique.

« Réellement, dit-il, vous exécuterez ce projet ?

— Réellement. Je connais, à un dixième de seconde près en longitude et en latitude, la situation de France-Ville, et le 13 septembre, à onze heures quarante-cinq du soir, elle aura vécu.

— Peut-être auriez-vous dû tenir ce plan absolument secret !

— Mon cher, répondit Herr Schultze, décidément vous ne serez jamais logique. Ceci me fait moins regretter que vous deviez mourir jeune. »

Marcel, sur ces derniers mots, s’était levé.

« Comment n’avez-vous pas compris, ajouta froidement Herr Schultze, que je ne parle jamais de mes projets que devant ceux qui ne pourront plus les redire ? »

Le timbre résonna. Arminius et Sigimer, deux géants, apparurent à la porte de la salle.

« Vous avez voulu connaître mon secret, dit Herr Schultze, vous le connaissez !… Il ne vous reste plus qu’à mourir. »

Marcel ne répondit pas.

« Vous êtes trop intelligent, reprit Herr Schultze, pour supposer que je puisse vous laisser vivre, maintenant que vous savez à quoi vous en tenir sur mes projets. Ce serait une légèreté impardonnable, ce serait illogique. La grandeur de mon but me défend d’en compromettre le succès pour une considération d’une valeur relative aussi minime que la vie d’un homme, — même d’un homme tel que vous, mon cher, dont j’estime tout particulièrement la bonne organisation cérébrale. Aussi, je regrette véritablement qu’un petit mouvement d’amour-propre m’ait entraîné trop loin, et me mette à présent dans la nécessité de vous supprimer. Mais, vous devez le comprendre, en face des intérêts auxquels je me suis consacré, il n’y a plus de question de sentiment. Je puis bien vous le dire, c’est d’avoir pénétré mon secret que votre prédécesseur