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LES RÉVOLTÉS DE LA « BOUNTY »

Livrés à eux-mêmes, ces hommes s’établirent sans trop de regrets dans différents districts de l’île, Le maître d’équipage Stewart et le midshipman Peter Heywood, les deux officiers que Christian avait exceptés de la condamnation prononcée contre Bligh, et avait emmenés malgré eux, restèrent à Matavaï auprès du roi Tippao, dont Stewart épousa bientôt la sœur. Morrison et Millward se rendirent auprès du chef Péno, qui leur fit bon accueil. Quant aux autres matelots, ils s’enfoncèrent dans l’intérieur de l’île et ne tardèrent pas à épouser des Taïtiennes.

Churchill et un fou furieux nommé Thompson, après avoir commis toute sorte de crimes, en vinrent tous deux aux mains. Churchill fut tué dans cette lutte, et Thompson lapidé par les naturels. Ainsi périrent deux des révoltés qui avaient pris la plus grande part à la rébellion. Les autres surent, au contraire, par leur bonne conduite, se faire chérir des Taïtiens.

Cependant, Morrison et Millward voyaient toujours le châtiment suspendu sur leurs têtes et ne pouvaient vivre tranquilles dans cette île où ils auraient été facilement découverts. Ils conçurent donc le dessein de construire un schooner, sur lequel ils essayeraient de gagner Batavia, afin de se perdre au milieu du monde civilisé. Avec huit de leurs compagnons, sans autres outils que ceux du charpentier, ils parvinrent, non sans peine, à construire un petit bâtiment qu’ils appelèrent la Résolution, et ils l’amarrèrent dans une baie derrière une des pointes de Taïti, nommée la pointe Vénus. Mais l’impossibilité absolue où ils se trouvaient de se procurer des voiles les empêcha de prendre la mer.

Pendant ce temps, forts de leur innocence, Stewart cultivait un jardin, et Peter Heywood réunissait les matériaux d’un vocabulaire, qui fut, plus tard, d’un grand secours aux missionnaires anglais.

Cependant, dix-huit mois s’étaient écoulés lorsque, le 23 mars 1791, un vaisseau doubla la pointe Vénus et s’arrêta dans la baie Matavaï. C’était la Pandore, envoyée à la poursuite des révoltés par l’Amirauté anglaise.

Heywood et Stewart s’empressèrent de se rendre à bord, déclarèrent leurs noms et qualités, racontèrent qu’ils n’avaient pris aucune part à la révolte ; mais on ne les crut pas, et ils furent aussitôt mis aux fers, ainsi que tous leurs compagnons, sans que la moindre enquête eût été faite. Traités avec l’inhumanité la plus révoltante, chargés de chaînes, menacés d’être fusillés s’ils se servaient de la langue taïtienne pour converser entre eux, ils furent enfermés dans une cage de onze pieds de long, placée à l’extrémité du gaillard d’arrière, et qu’un amateur de mythologie décora du nom de « boîte de Pandore ».