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le premier partant.

Ce qui engagea Max Réal à faire halte au bord de la rivière, ce fut le charmant paysage qui s’offrait soudain à ses regards. Dans un angle du cours d’eau, capricieusement rempli de lumière et d’ombre, se dressait l’un des derniers arbres d’une ancienne cyprière. Ses branches formaient berceau d’une rive à l’autre. Au bas on voyait les restes d’une cabane en adobe, et, vers l’arrière, s’étendait une vaste prairie, émaillée de fleurs, principalement d’éclatants tournesols. Au delà de la Kansas se montrait un fond de verdure avec d’obscures profondeurs, piquées çà et là de vifs rayons de soleil. L’ensemble « s’arrangeait » à souhait.

« Quel joli site ! se dit Max Réal. En deux heures, j’en aurai achevé l’ébauche. »

Ce fut lui, on va le voir, qui faillit être « achevé ».

Le jeune peintre s’était assis sur la berge, sa petite toile encastrée dans le couvercle de la boîte à couleurs, et il travaillait depuis quarante minutes, sans se laisser distraire, lorsqu’un bruit lointain — le quadrupedante sonitu de Virgile — se fit entendre dans la direction de l’est. On eût dit un formidable chevauchement à travers la plaine qui bordait la rive gauche.

Ce fut Tommy, couché au pied d’un arbre, que cette grandissante rumeur tira le premier du demi-sommeil auquel il s’abandonnait si volontiers.

Son maître n’entendant rien, ne détournant pas la tête, il se releva, remonta de quelques pas la berge, afin de porter sa vue plus au loin.

Le bruit redoublait alors, et, du côté de l’horizon, s’élevaient des volutes de poussière, que la brise, assez fraîche alors, repoussait vers l’ouest.

Tommy revint d’un pas rapide, et, pris d’un sérieux effroi, s’adressant à Max Réal :

« Mon maître !… » dit-il.

Le peintre, très absorbé devant sa toile, ne parut point songer à lui répondre.