Page:Verne - Le Superbe Orénoque, Hetzel, 1898.djvu/98

Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
LE SUPERBE ORÉNOQUE.

bissent les animaux eux-mêmes. Leurs nerfs résistent à cet ébranlement physique autant que moral. Il n’en allait pas ainsi du jeune garçon, et, s’il n’avait pas précisément « peur du tonnerre », comme on dit, il n’échappait pas à ce sentiment de nerveuse inquiétude dont d’énergiques natures ne sont pas toujours exemptes.

Jusqu’à minuit, la conversation se poursuivit entre les hôtes de l’Indien, et le sergent Martial y aurait pris un vif intérêt, s’il eût compris l’espagnol comme le comprenait son neveu.

Cette conversation, provoquée par MM. Miguel, Felipe et Varinas, porta précisément sur les travaux qui, trois mois avant, attirent chaque année plusieurs centaines d’indigènes en cette partie du fleuve.

Certes, les tortues fréquentent d’autres plages de l’Orénoque, mais nulle part en aussi grand nombre qu’à la surface des bancs de sable depuis le rio Cabullare jusqu’au village de la Urbana. Ainsi que le raconta l’Indien, très au courant des mœurs de la gent chélonienne, très habile à cette chasse ou à cette pêche, — les deux mots se valent, — c’est dès le mois de février qu’on voit apparaître les tortues, il ne serait peut-être pas suffisant de dire par centaines de mille.

Il va de soi que cet Indien, ignorant les classifications de l’histoire naturelle, ne pouvait indiquer à quelle espèce appartiennent ces tortues, si incroyablement multipliées sur les battures de l’Orénoque. Il se contentait de les pourchasser, de concert avec les Guahibos, Otomacos et autres, auxquels se joignaient les métis des llanos voisins, de recueillir les œufs à l’époque de la ponte, et d’en extraire l’huile par des procédés très simples, — aussi simples que lorsqu’il s’agit du fruit des oliviers. Pour récipient, tout bonnement, un canot qui est tiré sur la plage ; en travers du canot, des corbeilles dans lesquelles sont déposés les œufs ; un bâtonnet qui sert à les briser, tandis que leur contenu, délayé d’eau, tombe au fond du canot. Une heure après, l’huile remonte à la surface ; on la chauffe afin d’en évaporer l’eau, et elle devient claire. L’opération est terminée.