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D’ÎLES EN ÎLES

par violentes averses, et les passagers durent se tenir sous les roufs.

En premier lieu, il y eut à vaincre d’assez forts courants, le lit du fleuve étant rétréci par un barrage de petites îles. Il fut même indispensable de rallier la rive gauche où la résistance des eaux était moindre.

Cette rive présentait un aspect marécageux, avec un embrouillis de canaux et de bayous. Telle elle se poursuit depuis l’embouchure de l’Apurito jusqu’à l’embouchure de l’Arauca, sur une étendue de deux cents kilomètres. Là est la région si fréquentée des canards sauvages. On les voyait voler à la surface des plaines, tachetant l’espace de milliers de points noirs.

« S’il y en a autant que de moustiques, ils ne sont pas du moins aussi désagréables, s’écria le sergent Martial, et sans compter qu’ils se mangent ! »

Il n’aurait pu imaginer une comparaison plus juste.

Cela ne justifiait-il pas le fait qui est rapporté par Élisée Reclus d’après Carl Sachs. On raconte, assure-t-il, qu’un régiment de cavalerie campé près d’une lagune de cette région se nourrit exclusivement de canards sauvages pendant quinze jours, sans qu’il eût été possible de constater une diminution apparente de ces oiseaux dans les canaux environnants.

Les chasseurs de la Gallinetta et de la Maripare, — pas plus que le régiment de cavalerie dont il est question, — ne diminuèrent d’une manière sensible ces légions de volatiles. Ils se contentèrent d’en abattre quelques douzaines que les curiares allèrent ramasser au fil du courant. Le jeune garçon eut plusieurs coups heureux, à l’extrême satisfaction du sergent Martial, et, comme celui-ci se disait qu’une politesse en vaut une autre, il envoya à M. Miguel et à ses compagnons, très pourvus déjà, une part de son gibier. Décidément, il voulait ne rien leur devoir.

Pendant cette journée, les patrons des pirogues eurent à faire preuve d’une réelle habileté pour éviter les pointes de roches. Heurter l’une d’elles eût amené la perte de l’embarcation au milieu de ces eaux grossies par les pluies. Et non seulement cette manœuvre