Page:Verne - Le Superbe Orénoque, Hetzel, 1898.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.
58
LE SUPERBE ORÉNOQUE.

le rouge éclate au milieu des verdures. La bourgade est dominée par un monticule, haut de cinquante mètres. Au sommet, se montre un couvent de missionnaires, abandonné depuis l’expédition de Miranda et la guerre de l’Indépendance, et que souillèrent jadis des pratiques de cannibalisme, — d’où cette réputation trop justifiée que méritaient les anciens Caraïbes.

Du reste, les vieilles coutumes indiennes sont encore en usage à Caïcara, même celles qui mêlent le christianisme aux plus invraisemblables cérémonies religieuses. Telles celle du velorio, de la veillée des morts, et à laquelle put assister l’explorateur français. Là, au milieu des nombreux invités, qui n’épargnent ni le café, ni le tabac, ni surtout l’eau-de-vie, l’aguardiente, en présence du cadavre du mari ou de l’enfant, l’épouse ou la mère ouvre le bal, et les danses ne prennent fin qu’avec les forces des danseurs, épuisés par l’ivresse. Cela est plus chorégraphique que funèbre.

Cependant, si la question d’affréter une barque pour remonter le moyen Orénoque, entre Caïcara et San-Fernando, sur un parcours de huit cents kilomètres environ, était la première que Jean de Kermor et le sergent Martial eussent à résoudre, c’était aussi celle dont MM. Miguel, Felipe et Varinas devaient s’inquiéter préalablement. Au premier échut la tâche de s’assurer d’un mode de transport aux conditions les meilleures.

On pensera, comme M. Miguel, qu’une entente commune entre le sergent Martial et lui aurait eu pour avantage de simplifier les choses. Que les voyageurs fussent au nombre de trois ou de cinq, peu importait. Les embarcations pourraient aisément les contenir, et le personnel des mariniers nécessaires à la manœuvre n’en serait pas augmenté.

Or, le recrutement de ces mariniers n’est pas toujours facile. Il est nécessaire d’engager des hommes exercés. La plupart du temps, les pirogues ont à naviguer contre la brise pendant cette saison des pluies, et toujours contre le courant. Il existe de nombreux raudals dangereux, et aussi certaines passes encombrées de roches ou