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EN ROUTE.

Le soleil venait de se lever, lorsque le Père Esperante quitta la Mission. Sa troupe se composait d’une centaine de Guaharibos, spécialement exercés au maniement des armes modernes. Ces braves gens savaient qu’ils marchaient contre les Quivas, leurs ennemis de longue date, et non seulement pour les disperser, mais pour les détruire jusqu’au dernier.

Une vingtaine de ces Indiens étaient montés, escortant un certain nombre de charrettes, qui portaient l’approvisionnement de quelques jours.

La bourgade était restée sous l’autorité du frère Angelos, et, par des coureurs, celui-ci devait autant que possible demeurer en communication avec l’expédition.

Le Père Esperante, à cheval, en tête de sa troupe, avait revêtu un habillement plus commode que l’habit de missionnaire. Un casque de toile le coiffait ; des bottes s’engageaient dans ses étriers ; une carabine à deux coups pendait à sa selle ; un revolver s’accrochait à sa ceinture.

Il allait, silencieux et pensif, en proie à un inexprimable ébranlement moral, dont il ne voulait rien laisser paraître. Les révélations faites par le jeune Indien se confondaient dans son esprit. Il était comme un aveugle auquel on aurait rendu la lumière et qui aurait désappris de voir.

En sortant de Santa-Juana, la troupe prit à travers la savane, en obliquant vers le sud-est, — une plaine à végétation arborescente, des mimosas épineux, des chapparos malingres, des palmiers nains dont le vent agitait les éventails. Ces Indiens, habitués à la marche, cheminaient d’un pas rapide, et les piétons ne retardaient guère les cavaliers.

Le sol s’inclinait graduellement, et ne remontait qu’aux approches de la sierra Parima. Ses parties marécageuses, — des esteros, qui ne devaient se remplir qu’à la saison pluvieuse, — alors solidifiées par la chaleur, offraient une surface résistante, ce qui permettait de les franchir, sans avoir à les contourner.