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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

« Le plus souvent, affirma Valdez, on emploie l’écorce du chinchora et surtout celle du coloradito…

— Reconnaîtriez-vous ces plantes ?…. demanda Jacques Helloch.

— Non, répondit Valdez. Nous ne sommes que des bateliers, toujours sur le fleuve… C’est aux llaneros qu’il faudrait recourir, et il ne s’en rencontre pas un sur les rives ! »

Germain Paterne ne l’ignorait pas, l’effet du coloradito est souverain dans les cas de fièvres paludéennes, et nul doute que la fièvre eût cédé si la malade eût pu prendre plusieurs décoctions de cette écorce. Et, par malheur, lui, un botaniste, il en était encore à chercher cet arbrisseau dans les savanes riveraines.

Cependant, devant la formelle volonté de Jeanne de Kermor, ses compagnons avaient résolu de continuer le voyage sans s’attarder.

Ce précieux spécifique, on se le procurerait certainement à Santa-Juana. Mais les deux cents kilomètres, que l’on comptait jusqu’à la Mission, combien de temps faudrait-il aux pirogues pour les franchir ?…

La navigation fut reprise le lendemain dès l’aube. Temps orageux, accompagné de lointains roulements de tonnerre. Vent favorable dont Valdez et Parchal ne voulaient pas perdre un souffle. Ces braves gens compatissaient à la douleur de leurs passagers. Ils aimaient ce jeune garçon, se désolaient à voir son affaiblissement s’accroître. Le seul qui montrait une certaine indifférence, c’était l’Espagnol Jorrès. Ses regards ne cessaient de parcourir les llanos sur la droite du fleuve. Tout en prenant garde d’éveiller les soupçons, il se tenait le plus souvent à l’extrémité de la Gallinetta, tandis que ses camarades étaient couchés au pied du mât. Une ou deux fois, Valdez en fit la remarque, et nul doute que Jacques Helloch aurait trouvé suspecte l’attitude de l’Espagnol, s’il avait eu le loisir de l’observer. Mais sa pensée était ailleurs, et, alors que les falcas naviguaient côte à côte, il restait de longues heures à l’entrée du rouf, regardant la jeune fille qui essayait de sourire pour le remercier de ses soins.