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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

Il n’en fut rien.

Soudain, un immense remuement agita ces bœufs alors que plusieurs centaines se trouvaient encore à quelque vingt mètres de la rive droite. Puis, au même instant, les vociférations des vachers se mêlèrent au beuglement des animaux.

Il semblait que cette masse fût prise d’une épouvante dont la cause échappait…

« Les caribes… les caribes !… s’écrièrent les mariniers de la Moriche et de la Gallinetta.

— Les caribes ?… répéta Jacques Helloch.

— Oui !… s’écria Parchal, les caribes et les parayos ! »

Effectivement, le troupeau venait de rencontrer une bande de ces redoutables raies, de ces anguilles électriques, de ces gymnotes tembladors, qui peuplent par millions les cours d’eau du Venezuela.

Sous les décharges de ces vivantes « bouteilles de Leyde » toujours en tension et d’une extraordinaire puissance, les bœufs furent atteints de commotions successives, paralysés, réduits à l’état inerte. Ils se retournaient sur le flanc, ils agitaient une dernière fois leurs jambes, secouées par les secousses électriques.

Et beaucoup disparurent en quelques secondes, tandis que les autres, rebelles à la voix de leurs guides, dont quelques-uns furent également frappés par les gymnotes, durent céder au courant, et n’accostèrent la berge opposée qu’à plusieurs centaines de mètres en aval.

En outre, comme il n’avait pas été possible d’arrêter les rangs en arrière de la berge que poussait la masse du troupeau, les bœufs affolés furent contraints de se précipiter dans le fleuve, en proie à l’épouvante. Mais, sans doute, l’énergie électrique des parayos et des caribes avait diminué. Aussi, nombre de bêtes finirent par gagner la rive gauche, et s’enfuirent tumultueusement à travers la savane.

« Voilà, dit Germain Paterne, ce qui ne se voit ni dans la Seine,