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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

M. Manuel venait de le faire. De ce chef, on ne pouvait accuser Jorrès d’avoir inventé une prétendue rencontre avec le missionnaire dans le but de s’imposer aux passagers des pirogues qui se rendaient à Santa-Juana.

Toutefois, d’autre part, restait cette affirmation de l’Indien Baré, prétendant que Jorrès avait dû déjà remonter l’Orénoque, au moins jusqu’au rancho de Carida. Malgré les dénégations de l’Espagnol, l’Indien avait maintenu son dire. Les étrangers ne sont pas tellement nombreux à parcourir ces territoires du Venezuela méridional que l’on puisse commettre une erreur de personne. À propos d’un indigène, cette erreur aurait été admissible. L’était-elle, alors qu’il s’agissait de cet Espagnol dont la figure était si reconnaissable ?

Or, si Jorrès était venu à Carida, et, comme conséquence, dans les villages, ou les sitios situés en dessus et en dessous, pourquoi le niait-il ?… Quelles raisons avait-il de s’en cacher ?… En quoi cela eût-il pu lui nuire dans l’esprit de ceux qu’il accompagnait à la Mission de Santa-Juana ?…

Après tout, peut-être le Baré se trompait-il. Entre quelqu’un qui dit : « Je vous ai vu ici », et quelqu’un qui dit : « Vous ne pouvez m’avoir vu ici, puisque je n’y suis jamais venu », s’il y a erreur, elle ne peut évidemment pas venir du second…

Et cependant, cet incident ne laissait pas de préoccuper Jacques Helloch, non qu’il vît là un sujet d’appréhension pour lui-même ; mais tout ce qui intéressait le voyage de la fille du colonel de Kermor, tout ce qui pouvait en retarder ou en compromettre le succès, l’obsédait, l’inquiétait, le troublait plus qu’il ne voulait en convenir.

Cette nuit-là, le sommeil ne le prit que très tard, et, le lendemain, il fallut que Germain Paterne l’en tirât par une tape amicale, au moment où le soleil commençait à déborder l’horizon.