Page:Verne - Le Superbe Orénoque, Hetzel, 1898.djvu/270

Cette page a été validée par deux contributeurs.
242
LE SUPERBE ORÉNOQUE.

— Non, ce n’est pas là… car il y a plus de deux ans que je ne suis allé à San-Fernando.

— Alors vous vous trompez, l’Indien… Vous ne m’avez jamais vu, déclara l’Espagnol d’un ton brusque, et j’en suis à mon premier voyage sur le haut Orénoque…

— Je veux vous croire, répondit le Baré, et pourtant… »

La conversation prit fin, et si Jacques Helloch entendit ce bout de dialogue, du moins ne s’en préoccupa-t-il pas autrement. En effet, pourquoi Jorrès aurait-il tenu à cacher qu’il fût déjà venu à Carida, si cela était ?

D’ailleurs, Valdez n’avait qu’à se louer de cet homme, qui ne reculait point devant la besogne, quelque fatigante qu’elle dût être, étant vigoureux et adroit. Seulement, on pouvait observer, — non pour lui en faire un reproche, — qu’il vivait à l’écart des autres, causant peu, écoutant plutôt ce qui se disait aussi bien entre les passagers qu’entre les équipages.

Cependant, à la suite de cet échange de paroles entre le Baré et Jorrès, il vint à la pensée de Jacques Helloch de demander à ce dernier pour quelle raison il se rendait à Santa-Juana.

Jean, vivement intéressé à tout ce qui concernait cette mission, attendit non sans impatience ce que l’Espagnol allait répondre.

Ce fut très simplement, sans témoigner l’ombre d’embarras, que celui-ci dit :

« J’étais d’Église dans mon enfance, novice au couvent de la Merced, à Cadix… Puis, l’envie me prit de voyager… J’ai servi comme matelot sur les navires de l’État pendant quelques années… Mais ce service m’a fatigué, et, ma première vocation reprenant le dessus, j’ai songé à entrer dans les missions… Or, je me trouvais à Caracas, sur un navire de commerce, il y a six mois, lorsque j’ai entendu parler de la Mission de Santa-Juana, fondée depuis quelques années par le Père Esperante… La pensée m’est alors venue de l’y rejoindre, ne doutant pas que je serais bien accueilli dans cet établissement qui prospère… J’ai quitté Caracas, et, en me louant comme bate-