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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

Vers cinq heures, les mariniers de la Moriche purent s’emparer d’une tortue de l’espèce terecaïe. Ce chélonien servit à la confection d’une soupe excellente, et d’un non moins excellent bouilli, auquel les Indiens donnent le nom de sancocho. Au surplus, — ce qui permettait d’économiser sur les approvisionnements des falcas, — à la lisière des bois voisins, singes, cabiais, pécaris, n’attendaient qu’un coup de fusil pour figurer sur la table des passagers. De tous côtés, il n’y avait qu’à cueillir ananas et bananes. Au-dessus des berges se dispersaient incessamment, en bruyantes volées, des canards, des hoccos au ventre blanchâtre, des poules noires. Les eaux fourmillaient de poissons, et ils sont si abondants que les indigènes peuvent les tuer à coup de flèches. En une heure, on aurait rempli les canots des pirogues.

La question de nourriture n’est donc pas pour préoccuper les voyageurs du haut Orénoque.

Au-delà de Guachapana, la largeur du fleuve ne dépasse plus cinq cents mètres. Néanmoins, son cours est toujours divisé par de nombreuses îles, qui créent des chorros, violents rapides dont le courant se déroule avec une très gênante impétuosité. La Moriche et la Gallinetta ne purent rallier ce jour-là que l’île Perro de Agua, et encore faisait-il presque nuit lorsqu’elles y arrivèrent.

À vingt-quatre heures de là, après une journée pluvieuse, maintes fois troublée par des sautes de vent qui obligèrent de naviguer à la palanca en amont de l’île Camucapi, les voyageurs atteignirent la lagune de Carida.

Il y avait jadis, en cet endroit, un village qui fut abandonné, parce qu’un Piaroa avait succombé sous la dent d’un tigre, — ainsi que le fait fut certifié à M. Chaffanjon. Le voyageur français, d’ailleurs, ne trouva plus en ce village que quelques cases, utilisées par un Indien Baré moins superstitieux ou moins poltron que ses congénères. Ce Baré fonda un rancho dont Jacques Helloch et ses compagnons reconnurent le parfait état de prospérité. Ce rancho comprenait des champs de maïs, de manioc, des plantations de bananiers, de