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LE SUPERBE ORÉNOQUE.

Quant à Jeanne, elle prit la résolution de ne plus quitter la maison paternelle. Cette fortune que le sergent Martial avait reçue et qu’il se mit en mesure de lui restituer, tous deux l’emploieraient à entreprendre de nouvelles recherches.

En vain la famille Eredia insista-t-elle pour ramener Mlle  de Kermor près d’elle. Il lui fallut se résigner à être séparée de sa fille adoptive. Jeanne remercia ses bienfaiteurs de tout ce qu’ils avaient fait pour elle… son cœur débordait de reconnaissance envers ceux qu’elle ne reverrait pas de longtemps sans doute… mais, pour elle, le colonel de Kermor vivait toujours, et peut-être y avait-il lieu de le penser, puisque la nouvelle de sa mort n’était arrivée ni au sergent Martial, ni à aucun des amis qu’il avait laissés en Bretagne… Elle le chercherait, elle le retrouverait… À l’amour paternel répondait cet amour filial, bien que ni le père ni la fille ne se fussent jamais connus… Il y avait entre eux un lien qui les réunissait, un lien si tenace que rien ne pourrait le rompre !

La jeune fille resta donc à Chantenay avec le sergent Martial. Celui-ci lui apprit qu’elle avait été baptisée sous le nom de Jeanne, quelques jours après sa naissance à Saint-Pierre-Martinique, et il lui restitua ce nom à la place de celui qu’elle portait dans la famille Eredia. Jeanne vécut près de lui, s’obstinant à relever les plus légers indices, qui eussent permis de se lancer sur les traces du colonel de Kermor.

Mais à qui s’adresser pour obtenir quelque nouvelle de l’absent ?… Est-ce que le sergent Martial n’avait pas tenté par tous les moyens, et sans y réussir, de recueillir des renseignements sur son compte ?… Et dire que le colonel de Kermor ne s’était expatrié que parce qu’il se croyait seul au monde !… Ah ! s’il pouvait savoir que sa fille, sauvée du naufrage, l’attendait dans la maison paternelle…

Plusieurs années s’écoulèrent. Aucun rayon n’avait effleuré ces ténèbres. Et, sans doute, le plus impénétrable mystère eût continué d’envelopper le colonel de Kermor, si une première révélation, très inattendue, ne se fût produite dans les circonstances suivantes.