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le sphinx des glaces

l’apparition des insulaires, auxquels l’épouvante interdisait l’approche de l’île Tsalal. Nul danger ne les avait menacés pendant cette période. D’autre part, à mesure qu’elle se prolongeait, ils perdaient de plus en plus l’espoir d’être jamais recueillis. Au début, avec le retour de la belle saison, quand la mer redevenait libre, ils s’étaient dit qu’un navire serait envoyé à la recherche de la Jane. Mais, lorsque quatre ou cinq ans se furent écoulés, ils perdirent toute espérance…

En même temps que les produits du sol, — et parmi eux ces précieuses plantes antiscorbutiques, le cochléaria, le céleri brun, qui abondaient aux environs de la caverne, — William Guy avait ramené du village une certaine quantité de volatiles, des poules, des canards d’espèce excellente, et aussi nombre de ces porcs noirs, très multipliés sur l’île. En outre, sans avoir besoin de recourir aux armes à feu, il fut aisé d’abattre des butors au plumage d’un noir de jais. À ces diverses ressources alimentaires, il convenait d’ajouter les centaines d’œufs d’albatros et de tortues galapagos, enfouis sous le sable des grèves, et, rien que ces tortues de dimensions énormes, d’une chair salubre et nourrissante, auraient suffi aux hiverneurs de l’Antarctide.

Restaient encore les inépuisables réserves de la mer, de ce Jane-Sund, où foisonnaient toutes sortes de poissons jusqu’au fond des criques, — des saumons, des morues, des raies, des antoys, des soles, des rougets, des mulets, des carrelets, des scares, et aussi, sans parler des mollusques, ces savoureuses biches de mer, dont la goélette anglaise comptait prendre une cargaison afin de la vendre sur les marchés du Céleste-Empire.

Il n’y a pas lieu de s’étendre sur cette période, qui va de l’année 1828 à l’année 1839. Certes, les hivers furent très durs. En effet, si l’été faisait généreusement sentir sa bienfaisante influence aux îles du groupe Tsalal, la mauvaise saison, avec son cortège de neiges, de pluies, de rafales, de tourmentes, ne lui épargnait pas ses rigueurs. Le terrible froid régnait en maître sur tout le domaine des terres