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le sphinx des glaces

il arriverait par le travers du morne, puis il le dépasserait, car aucun remous ne s’étendait au large, et en vingt autres minutes, il serait hors de vue…

Nous étions là, regardant l’embarcation qui continuait à dériver sans se rapprocher du littoral. Au contraire, le courant tendait à l’en éloigner.

Soudain, un jaillissement d’eau se produisit au pied du morne, comme si un corps fût tombé à la mer.

C’était Dirk Peters qui, débarrassé de ses vêtements, venait de se précipiter du haut d’une roche, et, lorsque nous l’aperçûmes à dix brasses déjà, il nageait dans la direction du canot.

Un hurrah s’échappa de nos poitrines.

Le métis tourna un instant la tête, et, d’une coupe puissante, bondit, — c’est le mot — à travers le léger clapotis des lames, ainsi que l’eût fait un marsouin dont il possédait la force et la vitesse. Je n’avais jamais rien vu de pareil, et que ne devait-on pas attendre de la vigueur d’un tel homme !

Dirk Peters parviendrait-il à atteindre l’embarcation avant que le courant l’eût emportée vers le nord-est ?…

Et s’il l’atteignait, parviendrait-il, sans avirons, à la ramener vers la côte dont elle s’écartait, ainsi que le faisaient en passant la plupart des ice-bergs ?…

Après nos hurrahs, un encouragement jeté au métis, — nous étions restés immobiles, nos cœurs battant à se rompre. Seul, le bosseman criait de temps en temps :

« Va… Dirk… va ! »

En quelques minutes, le métis eut gagné de plusieurs encablures dans un sens oblique vers le canot. On ne voyait plus sa tête que comme un point noir à la surface des longues houles. Rien n’annonçait que la fatigue commençât à le prendre. Ses deux bras et ses deux jambes repoussaient l’eau méthodiquement, et il maintenait sa vitesse sous l’action régulière de ces quatre puissants propulseurs.