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le sphinx des glaces

pu se tirer sain et sauf d’une pareille chute, puis de l’engloutissement final dans les profondeurs de l’abîme ?…

En quelques minutes, l’Halbrane fut abandonnée de l’équipage. Chacun chercha refuge sur les talus, en attendant que l’ice-berg se dégageât de son capuchon de vapeurs. Les obliques rayons solaires ne parvenaient point à le percer, et c’est à peine si le disque rougeâtre se sentait à travers cet amas d’opaques vésicules qui en éteignaient le flamboiement.

Cependant, à une douzaine de pas on pouvait s’apercevoir les uns les autres. Quant à l’Halbrane, elle ne présentait qu’une masse confuse, dont la couleur noirâtre tranchait vivement sur la blancheur des glaces.

Il y eut alors lieu de se demander si, de tous ceux qui se tenaient sur le pont de la goélette au moment de la catastrophe, aucun n’avait été projeté par-dessus les bastingages, entraîné sur les pentes, précipité dans la mer ?…

À l’ordre du capitaine Len Guy, les matelots présents vinrent grossir le groupe où j’étais avec le lieutenant, le bosseman, les maîtres Hardie et Martin Holt.

Jem West fit l’appel… Cinq de nos hommes ne répondirent pas : le matelot Drap, un des anciens de l’équipage, et quatre des recrues, à savoir, deux Anglais, un Américain et un des Fuégiens embarqués aux Falklands.

Ainsi, cette catastrophe coûtait la vie à cinq des nôtres — les premières victimes de cette campagne depuis le départ des Kerguelen, et seraient-ce les dernières ?…

Et, en effet, il n’était pas douteux que ces malheureux eussent péri, car on les appela vainement, vainement on les chercha sur les flancs de l’ice-berg, partout où ils auraient peut-être pu s’accrocher à quelque saillie…

Les tentatives, qui furent faites après le lever du brouillard, demeurèrent infructueuses. Au moment où l’Halbrane avait été saisie par-dessous, la secousse avait été si violente, si soudaine